L’année prochaine sera celle du centenaire de la Révolution de 1917. Un événement majeur s’il en est, véritable tournant du XXe siècle. Mais celle-ci ne s’est pas construite sur rien; d’autres événements, moins connus de nos jours, l’ont précédée. Ainsi en est-il de la révolution manquée de 1905. C’est celle-ci, ainsi que les mouvements révolutionnaires antérieurs, que nous voudrions mettre en avant dans nos prochaines publications, notamment avec un diptyque, dont le premier volume observera la Révolution avec l’œil de l’humour et de la satire, le second employant celui de la tragédie.
Si vous êtes curieux, mais non-russophone, vous aurez du mal à trouver des renseignements sur ces auteurs. Comme d’habitude, chez Lingva, nous n’avons pas peur des défis en tâchant de rééditer des écrivains dont l’œuvre a été oubliée pour des raisons non-littéraires.
Cliché de jeunesse de Leo Birinski conservé à la Staatbibliothek de Berlin
Le premier volume contiendra donc une pièce de théâtre – une comédie –, suivie d’une nouvelle. La pièce de théâtre est de Leo Birinski. Leo Birinski est probablement né en 1884 à Lyssianka, dans le Gouvernement de Kiev, d’un père nommé Hersch Gottesmann, et d’une mère nommée Karna Berinska ou Birinska. Il passe son enfance en Bukovine, alors province austro-hongroise. Il emménage à Vienne au début du XXe siècle, devenant libraire, avant de commencer à écrire. Il se fait alors connaître par deux tragédies (Der Moloch et Raskolnikoff, laquelle est une adaptation de Dostoievski), et une comédie, Narrentanz (La Danse des fous), créée en 1912. Cette dernière pièce fut un immense succès, et fut traduites en sept langues, dont le français. En 1921, Birinski déménage à Berlin en 1921, où il se marie, et en 1927, il arrive aux États-Unis, où il entame une prolifique carrière de scénariste. Son dernier film, The Lady Has Plans (Espionne aux enchères), réalisé par Sidney Lanfield, sort en 1942. Puis Leo Birinski disparaît. Il meurt le 23 octobre 1951, dans une misère noire, et est enterré dans une fosse commune à New York.
Portrait de Yassinski par Ilya Repine
Maxime Belinski est l’un des pseudonymes de Ieronim Iassinski, un auteur prolifique de la seconde moitié du XIXe siècle et du début du XXe. Iassinski est né à Kharkiv (Ukraine), de Ieronim Iassinski, un noble d’origine polonaise, et de Olga Belinskaïa, fille d’un héros de la bataille de Borodino, Maxime Belinski, à qui l’auteur empruntera son pseudonyme. Après avoir suivi des études à Tchernihiv, puis à Kiev, il s’est marié et a commencé très vite à publier des articles puis des romans. Il fut extrêmement prolifique. En sus de son œuvre, il se fit directeur de revues, critique, traducteur. Tout en étant progressiste, il s’est régulièrement moqué des mouvements révolutionnaires, ce qui lui a valu d’être détesté de Tchekhov et de Gorki. Mais lors de la Révolution d’Octobre, il embrassa le parti bolchevique, et put ainsi continuer à écrire jusqu’à sa mort, en 1931, à Leningrad.
Tous deux ont contribué chacun à leur manière à dédramatiser la Révolution, à en faire un sujet d’humour. Avec Birinski, on se retrouve chez un gouverneur de province, corrompu jusqu’à l’os, qui ne cesse d’envoyer au gouvernement des rapports alarmistes dans le but d’obtenir de nouveaux crédits qui lui permettrons de mener un large train de vie. Parallèlement, les révolutionnaires ont décidé de faire de ce même gouvernement un havre de paix, afin de pouvoir y dissimuler tranquillement fugitifs et archives… En complément, Belinski nous offre une petite saynète, autour d’un révolutionnaire qui s’emploie à cacher deux bombes chez une jeune fille célibataire et sa mère. Dans les deux cas, le sujet est grave: raison de plus pour en rire.
Sergueï Fonvisine, lui, s’occupe de l’autre versant du sujet. Né à Moscou en 1860, il mène une longue carrière militaire, qui le voit passer d’officier subalterne à vice-gouverneur de Poltava, en Ukraine. C’est seulement à sa retraite qu’il se lance dans la carrière d’écrivain. Il est ainsi l’auteur de plusieurs romans et recueils de nouvelles, dont Temps d’émeute, publié en 1911. Il meurt en 1918, et, sans doute du fait qu’il était plutôt réactionnaire (les révolutionnaires ne sont que des ouvriers mal dégrossis, des Tsiganes et des Juifs forcément apatrides), il n’a depuis plus jamais été réédité, même en Russie. Et pourtant, Temps d’émeute est un formidable roman. Écrit en réaction à la Révolution de 1905, il prend pour personnage principal un prince déchu, déshérité et travaillant pour cette raison à des postes de petits fonctionnaires. Misanthrope, il va pourtant s’humaniser, au contact d’un Juif révolutionnaire et d’une jeune fille noble.
La Danse des fous paraîtra à la fin du mois de février; Temps d’émeute est prévu pour le mois d’avril.