En 2013, nous avons été missionnés par la revue Galaxies pour faire un reportage lors de la Convention européenne de science-fiction qui s’est tenue à Kiev. Nous en sommes revenus avec un dossier entier pour cette revue, mais aussi des notes de voyage et des interview.
Et nous voici en route pour la Convention Européenne de science-fiction de Kiev (Eurocon 2013).
Le départ s’est fait de Roissy sous un temps franchement médiocre, et Kiev à l’arrivée n’est encore guère souriante. La ville sort à peine de l’hiver. Neige sale et poussière sont partout, l’herbe est aussi grise que la terre elle-même. Mais le peu que nous avons pu en voir aujourd’hui est déjà étonnant. Tout comme Moscou, elle est toujours chargée d’une empreinte soviétique importante, avec notamment de curieuses constructions industrielles.
Mais partout la ville semble s’être modernisée à toute allure, notamment dans la périphérie où nous nous retrouvons, où d’immenses buildings d’habitations ont été construits ces dernières années, accompagnés de diverses structures commerciales, dont de nombreux hôtels ultra-modernes comme celui qui nous héberge: un trois étoiles au personnel vraiment amical, pour un prix on ne peut plus modique.
Et nous pouvons déjà remercier de tout coeur ce personnel qui nous a bien aider à surmonter la première tuile du voyage: une bête panne de téléphone…
Bref, la convention ne commence que demain après-midi, mais nous avons toutefois déjà pu croiser sur notre route Georges Bormand, représentant français de l’European Science Fiction Society sous l’égide de laquelle la convention est organisée.
Pour l’heure, nous nous installons. Demain matin, nous tâcherons de profiter de notre séjour pour nous rendre à la Laure des grottes de Kiev, et donc aux catacombes, partir à la recherche de la momie d’Ilya Mouromets. Ensuite les choses sérieuses commenceront avec un très riche programme de conférences.
Jour 1
Le compte rendu d’aujourd’hui tombe bien tardivement, et nous nous en excusons, mais la journée aura été fort chargée.
Nous avons tout d’abord tenu à rendre visite à un de nos vieux amis, à savoir Ilya Mouromets, dont nous avons traduit les aventures, et dont la momie repose dans les catacombes de la Laure des grottes de Kiev.
L’une des entrées du monastère, ornée de fresque du XIXe siècle totalement délavées
Malheureusement, il est totalement interdit de prendre des photos dans les catacombes, lesquelles ne sont d’ailleurs éclairées qu’à la lueur des cierges tenus par les pélerins – essentiellement des femmes, d’ailleurs. Bref, nous avons vu Ilya Mouromets, mais il vous faudra nous croire sur parole. Notez d’ailleurs que l’accès à ces catacombes, s’il n’est pas interdit aux touristes, n’en est pas moins d’accez facile pour quiconque ne lit pas les inscriptions en cyrillique. Le lieu privilégie les croyants.
Puis nous nous sommes donc dirigés vers le lieu de la convention, un endroit nommé Expo Plaza, en fait une sorte de parc des expositions couverts.
L’endroit est terriblement bruyant, et les espaces de conférences sont pour l’essentiel disposées au milieu des stands, où règne un brouhaha permanent.
Quoi qu’il en soit, nous croisons une première fois, en coup de vent, Oleg Ladyjenski et Dmitri Gromov, alias Henry Lion Oldie:
Après un passage rapide à l’ouverture de la convention, en présence de Christopher Priest, des Oldie, de Vadim Panov et de Sergueï Diatchenko (sans Marina hélas)…
…nous nous dirigeons vers une première conférence de Youri Chevela et Vitali Karatsoupa, qui ont essayé de déterminer objectivement ce qu’est un auteur ukrainien de SF et de fantasy. Autrement dit un Ukrainien instalé en Russie et écrivant en russe – même mâtiné d’ukraïnismes – est-il un auteur ukrainien, par exemple:
Un problème complexe pour une nation toujours en voie de constitution.
Nous assistons ensuite à une conférence donnée par Youri Ivanov et Gleb Goussakov sur les modalités de publication et de diffusion en Russie et en Ukraine, avant d’interviewer longuement – plus d’une heure – le seul Gleb Goussakov, qui est l’un des responsables des remarquables éditions Snejniï Kom:
Puis nous croisons l’auteur ukrainien Vladimir Arenev, que nous avions fermement l’intention d’inviter pour le dossier spécial « Ukraine » que nous préparerons pour Galaxies. Celui-ci, qui avait prévu notre visite, a la gentillesse de nous offrir son tout dernier livre:
Aussi l’alpaguons-nous aussitôt pour l’entraîner dans une autre interview fleuve – qui sera publiée dans Galaxies – et c’est avec lui que nous sortons bons derniers de l’Expo Plaza, alors que tout le monde et déjà parti et que tous les stands sont fermés.
A propos des stands: c’est sans doute un hasard, puisque ceux-ci ne sont pas liés à la convention, mais nous en avons repéré un de bien curieux, sobrement baptisé « L. Ron Hubbard », où il est possible d’acheter l’intégrale de cet auteur, ou bien des portraits en grand format… bref, le stand de l’église de scientologie!
Jour 2
Voici la fin de la deuxième journée de la convention européenne de science-fiction à Kiev. Une deuxième journée bien chargée elle aussi.
Aujourd’hui la convention s’est déplacée au sein de la Bibliothèque scientifique et technique du de l’Institut Polytechnique, autrement dit d’un très important campus universitaire scientifique. Dès l’arrivée nous sommes accueillis par le traditionnel monument soviétique:
Et très vite nous pouvons admirer l’incroyable architecture de ce campus inauguré en 1898, architecture qui occille entre l’industriel du XIXe siècle et un style parfois presque néo-gothique.
Le bâtiment de la bibliothèque en revanche est un immeuble assez disgrâcieux contruit à l’époque soviétique. Toutefois, son intérieur est particulièrement surprenant. Il est en effet tout d’abord construit autour d’un pendule de Foucault, qui a été mis en fonctionnement pour l’occasion:
Les murs sont pour une bonne partie ornées de fresques étonnantes, riches en détails qui se rapportent souvent à la SF, comme ici:
Le reste des surfaces est intégralement recouvert de portraits d’hommes et de femmes méritants: cosmonautes, athlètes, scientifiques, prêtres, etc. Un culte des grands hommes poussés à l’extrême:
Mais place au travail, avec tout d’abord la réalisation d’une longue interview d’Oleg Ladyjenski et Dmitri Gromov. Ceux-ci nous parlent longuement de la situation de l’édition en Russie et en Ukraine:
Nous enchaînons sur le début de l’assemblée générale de l’European Science Fiction Society, qui butte notamment sur le problème des frontières de l’Europe. L’ESFS peut-elle, notamment accueillir le Kazakhstan parmi ses membres?
Nous devons cependant nous en aller alors les débats sont loins d’être clos, car rendez-vous était pris avec Mikhailo Nazarenko, un important critique, auteur notamment d’un ouvrage d’études sur l’oeuvre de Marina et Sergueï Diatchenko. Là encore cela se transforme en longue interview.
Puis nous croisons en coup de vent Dmitri Kolodan, sans avoir le temps de le saluer; toujours en coup de vent, nous fixons un rendez-vous avec Leonid Kaganov pour demain, avant de rencontrer Natalia Logvinenko, professeur à l’Institut pédagogique d’Ukraine et auteur d’un important manuel sur le fantastique ukrainien moderne. La discussion n’a pas eu le temps de se transformer en interview, mais elle fut néanmoins passionnante!
Evidemment, tout ceci s’est régulièrement accompagné d’échanges de livres. Et pour finir, Mikhailo Nazarenko et Vladimir Areniev nous ont proposé de nous servir de guide pour la soirée. Ainsi avons-nous pu traverser tout Kiev à pied avec deux guides remarquables!
Jour 3
Troisième et dernière journée !
Retour à Expo Plaza, et donc retour dans le bruit. Mais tant pis, nous profitons des nombreux stands disposés tout autour pour faire nos provisions en chocolats de Lviv et pour acheter un chouette petit domovoï en paille. Mais passons.
Aujourd’hui était le jour des enfants : le hall principal leur était dédié en quasi-intégralité : nous avons donc d’abord eu le droit à une sympathique chorale, puis une animatrice s’est chargé de tous ces petits en leur faisant jouer tout une histoire ponctuée de petites scénographies. C’était mignon comme tout.
Tout autour de cet espace principal était organisée une exposition de sculptures surprenantes, très drôles et imaginatives.
Et nous nous mettons au travail. Hélas, Leonid Kaganov est tombé malade hier soir, il nous sera donc impossible de l’interviewer comme prévu, de même qu’Andreï Valentinov, lui aussi malade et absent.
Nous rencontrons cependant Dmitri Kolodan, jeune auteur russe prometteur. Nous nous sommes mis d’accord pour l’interviewer dans les prochains jours.
Puis nous nous lançons dans diverses conversations avec les membres du site Laboratoriya Fantastiki (Fantlab), de joyeux drilles qui ont réussi à bâtir avec leur site un formidable outil de travail.
Nous devons cependant les abandonner pour assister à la conférence de Sergueï Diatchenko qui donne sa vision de la science-fiction aujourd’hui et demain. Une vision très pessimiste, car au cours de sa conférence, Sergueï Diatchenko avoue que lui et Marina écriront de moins en moins pour être publiés, étant donné qu’ils travaillent de plus en plus en tant que scénaristes pour la télévision et le cinéma… une profession bien plus rémunératrice il est vrai.
Puis vient notre tour de parler, avec notre conférence sur la promotion de la science-fiction et de la fantasy russe et ukrainienne en France. La salle qui nous avait été attribuée n’étant pas équipée de vidéo projecteur, nous avons du déménager dans une autre… Hélas le public, mal averti, n’a pas beaucoup suivi ce mouvement de dernière minute. Tant pis, la dizaine de personnes présentes a toutefois été bien intéressée par notre vision de ce qui se passe en France.
L’après midi se termine par la traditionnelle remise des prix liés à cette convention. Des prix adventices d’abord, issus de manifestations locales, puis ceux de l’ESFS (European Science Fiction Society). Nous y croisons Yana Botsman et Dmitri Gordevski alias Alexandre Zoritch :
De même, nous ne pouvions manquer de saluer Christopher Priest :
Nous ne pouvons hélas donner l’intégralité du palmarès, faute d’avoir pu tout noter: l’ambiance était festive, et, comme nous l’avons dit, le lieu assez bruyant, d’autant plus qu’il y avait beaucoup de monde.
Tout ce que nous pouvons dire pour l’instant est que Andreï Valentinov a reçu le prix du meilleur auteur ; Leonid Kaganov a reçu un encouragement award, Europa SF a reçu le prix du meilleur site… et nous celui du meilleur traducteur !
Bref, nous rentrons à l’hôtel fatigués mais contents.
Nous ne pouvons cependant nous empêcher de penser à quelques nuages noirs qui assombrissent le paysage de la SF et de la fantasy russophone. D’abord l’annonce de Sergueï Diatchenko, couplée à ce que disait il y a quelques mois Leonid Kaganov dans une interview, dans laquelle il pensait être tout prêt à arrêter d’écrire en raison du piratage massif de ses œuvres, qui l’empêche de vivre de son travail.
De même il semble bien que le système éditorial russe s’emballe. Alors qu’il y a encore quelques années une nouveauté était tirée à 5000 exemplaires, aujourd’hui, en raison d’une surproduction, elle ne l’est plus qu’à 2000 voire 3000 exemplaires. Un auteur ne peut clairement pas venir de ça.
De même nous apprenons, avec un retard du au fait que nous ne sommes plus abonnés aux revues russes en raison de leur coût à l’international, que la revue Esli, jusqu’ici la plus importante, s’est arrêtée, vraisemblablement pour des raisons financières. De même, Midi XXIe siècle a cessé de paraître en janvier dernier : il s’agissait de la revue de Boris Strougatski et le décès de celui-ci a entraîné l’arrêt de celle-là. Le paysage des revues russes de SF est donc maintenant particulièrement sinistré.
Nous espérons toutefois que la relève viendra vite et que la situation se redressera.