Grâce à la complicité de Christine Zeytounian-Beloüs, nous avons pu réaliser une petite interview de Sergueï Loukianenko, qui a bien voulu répondre, non sans humour, à nos questions.
Note: nous avons ajouté entre parenthèse les éditeurs des des jeux vidéo mentionnés.
Quelles ont été vos sources d’inspiration pour cette série? Quels auteurs ont pu vous influencer?
Mon idée principale était d’écrire un roman de Fantasy dans la réalité actuelle, afin que les magiciens puissent utiliser des téléphones portables et les loups-garous conduire des voitures. Cette idée était probablement dans l’air du temps car ces dernières années, le genre « Fantasy urbaine » est devenu très populaire tant en Russie que dans d’autres pays.
Parmi les auteurs dont l’influence sur les Sentinelles est quelque peu manifeste, je mentionnerais les frères Strougatski (et plus précisément leur vieux récit des années 1960, Le Lundi commence le samedi où l’on peut voir le travail d’un Institut scientifique d’étude de la magie en URSS) et Stephen King qui dans son oeuvre fait entrer sans hésiter la magie et la mystique dans la réalité.
Comment expliquer l’immense succès que ces romans ont obtenus, tant en Russie qu’ailleurs?
Cette question est très difficile. Certes, les films tournés en Russie ont joué un grand rôle dans la publicité du livre. L’intérêt des éditeurs étrangers est apparu aussi après l’adaptation à l’écran du roman. Mais une adaptation, même réussie, ne peut pas toujours éveiller l’intérêt pour l’auteur et pour son livre. Les lecteurs ont peut-être aimé l’idée principale des Sentinelles, à savoir non pas simplement une opposition entre le Bien et le Mal mais aussi un essai de comprendre jusqu’à quel point le Bien peut aller sans se transformer en Mal, et si le Mal peut créer le Bien. L’idée du dualisme entre le Mal et le Bien n’est pas neuve mais elle perturbe toujours autant les gens.
Vous parlez souvent de chanteurs ou de groupes musicaux dans ces romans. Est-ce pour vous une façon d’illustrer le récit, ou simplement une manière d’indiquer vos goûts personnels?
Les deux. J’écris souvent des livres en écoutant de la musique, et si je découvre qu’une chanson est en harmonie avec les pensées qui sont dans le livre, je l’incorpore au texte. Il en résulte une sorte de liaison interne entre la musique et la littérature. Avec le temps, j’ai fais la connaissance de beaucoup de musiciens dont j’ai utilisé les chansons. Je suis charmé de ce fait qu’ils lisent mes livres.
Dans le troisième volume des Sentinelles, vous désarmez, en quelque sorte, les critiques qui pourraient vous reprocher d’utiliser un univers de jeux vidéo (avec ces mages de différents niveaux), en imaginant justement un influence de ces jeux sur la sociétés des Autres. Etes-vous vous-même un joueur? Si oui, quels sont vos jeux favoris?
Oui, j’aime les jeux vidéo. Je préfère les RPG (Role-playing games). On a aussi créé, actuellement, quelques jeux d’après mes livres: Les Sentinelles de la nuit (Novyï Disk / Nival Interactive), Les Sentinelles du jour (Novyï Disk / Nival Interactive / Targem), Ce n’est pas le temps des dragons (1C / Arise / KranX Productions). Donc, même si les jeux prennent beaucoup de temps, ils incitent parfois à la création… et puis, les livres à leur tour deviennent une base pour les jeux. Il y a en cela une certaine ironie de notre époque.
Pensez-vous vraiment que, comme le disait Ivan Efremov au début des années 1970, « c’est sur la Terre qu’on a à vivre »? La conclusion du troisième volume des Sentinelles est très pessimiste à ce sujet…
Je suis bien persuadé que l’humanité doit se développer et conquérir de l’espace. Tôt ou tard, cela deviendra la condition de notre survie, et donc cela vaut la peine de commencer un peu plus tôt. Mais actuellement, l’astronautique est devenue malheureusement peu intéressante pour les pays leaders, son importance est plutôt appliquée. Ca n’est pas mal… mais je voudrais bien voir une expédition vers Mars ou une vraie conquête de la Lune… Ça fait déjà plus de cent ans que l’homme rêve de la conquête de l’espace, et ce n’est probablement pas par hasard. Je veux bien croire que nous ne « partirons pas vers des mondes virtuels », que nous ne resterons pas pour toujours sur la Terre, mais que nous tâcherons de devenir les habitants de l’Univers.
Que pouvez-vous nous dire sur la Russie actuelle?
La Russie est mon pays, je l’aime bien et je m’inquiète pour son destin. Je suis heureux de nos succès et les échecs me tourmentent. Actuellement, la Russie n’est pas dans la pire des situations mais elle est loin d’être dans la meilleure des situations de sa nouvelle histoire. Je pense que les années qui viennent montreront définitivement si nous réussirons à casser les tendances négatives et faire de notre pays un État fort, respecté et où la vie sera agréable… ou alors cela voudrait dire que l’expérience communiste du XXe siècle et la chute de l’URSS qui l’a suivie ont eu des conséquences trop catastrophiques pour notre peuple. Je suis optimiste, malgré tout… bien qu’il soit toujours très difficile d’être optimiste en Russie.
A quel projet travaillez-vous en ce moment?
Je viens de terminer le roman intitulé L’Empoté. A mon avis c’est une bonne histoire, intéressante et drôle, qui a lieu dans le monde du conte, de la Fantasy. Il me semble que ce sera intéressant pour les lecteurs du monde entier. J’espère qu’elle paraîtra tôt ou tard en France. Je ne voudrais pas rester pour le lecteur français seulement l’auteur des Sentinelles.
Le nouveau livre que je vais maintenant écrire s’appelle Le Chasseur de visions. C’est une histoire sur le Pays des Rêves, sur les gens qui peuvent s’y rendre… et y rester. Cependant, jusqu’à ce que j’aie écris trois ou quatre chapitres, je ne suis jamais sûr de ne pas être obligé de laisser un livre en sommeil. Il est possible qu’un autre sujet m’intéressera – et le Pays des Rêves sera obligé d’attendre.