Suite à notre critique de Froid hivernal de Natalia Osoianu, nous avons le plaisir d’accueillir ici le Roumain Cristian Tamaş qui a réalisé tout récemment une très intéressante interview de l’auteur, qu’il a bien voulu traduire pour nous – et nous l’en remercions.
Bonjour, Natalia , merci d’avoir accepté cette interview. Peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
Bonjour ! Mon nom est Natalia Osoianu, j’habite à Chişinău. Je suis diplômée de la Faculté de droit de l’Université Libre Internationale de Moldova (ULIM) et je travaille également dans cette université comme chargé de cours depuis 2003. Actuellement je suis Lecteur supérieur, docteur en droit et directeur de l’Institut de Recherches des Droits de l’Homme, qui est une subdivision scientifique de notre faculté.
J’écris en russe et j’ai publié en Russie trois livres édités par Eksmo et Astrel. Mes récits ont été publiés dans des anthologies éditées en Russie et dans des revues publiés en Ukraine. Au début de cette année, j’ai publié un court roman sur Amazon.com que j’ai traduis seule en anglais. Et j’ai beaucoup des projets pour l’avenir …
Comment te définis-tu ? Comme citoyenne de la République de Moldavie, comme roumaine de Bessarabie, comme Moldave eurasienne, comme écrivain d’expression russe de Moldavie ?
Je suis une Moldave qui parle le russe et le roumain. Je pense et j’écris en russe, je parle le roumain, le russe et l’anglais, je vis en République de Moldavie, ce que j’aime bien. J’ai lu une interview d’un allemand qui travaille à Chişinău : il a admis qu’il a été agréablement surpris de constater que presque chaque Moldave connaît trois-quatre langues. C’est une blague chez nous à cet égard, que nos trois langues sont le roumain, le moldave et la langue d’État … mais de toute façon, l’Allemand a raison, nous parlons en roumain, en russe, en anglais, en français, en italien et en beaucoup d’autres langues. Même pendant la période soviétique, la République Soviétique Socialiste de Moldavie était une région multinationale, mais aujourd’hui cela est devenu encore plus évident. Mon nom de famille – Osoianu – semble pour les Roumains quelque chose de connu, mais j’ai souvent entendu que mon nom ressemble étroitement à un nom arménien. Dans le même temps, nous avons beaucoup d’étudiants provenant des familles russes ou ukrainiennes dont la langue maternelle est le roumain. C’est comme ça mon pays !
Comment percevez-vous la Roumanie ? Et la Russie, l’Ukraine et les régions russophones ?
Avec la Roumanie, la Russie et l’Ukraine nous avons des liens historiques, politiques, juridiques et économiques, nous sommes des voisins et il faut avoir de bonnes relations. Non, nous sommes plus que des voisins ! Nous ne pouvons aller ailleurs si nous n’aimons pas le comportement des personnes qui vivent près de nous, donc nous avons besoin de chercher en n’importe quelle situation possible de conflits une solution commune, acceptable pour toutes les parties.
Pourquoi écris-tu en russe ? Qu’est-ce que t’a déterminée à la faire ? Qu’as tu obtenu en écrivant en russe ? Quelle est la signification de la russophonie pour toi ?
Le russe est la langue par laquelle je pense, ma langue maternelle. Il n’est pas exclu qu’un jour, j’essaie d’écrire en roumain aussi ou de traduire ce que j’ai écrit – en fait, notre entrevue peut servir de catalyseur à ce processus.
Comment et quand avez-vous découvert le domaine de l’imaginaire ?
Tout a commencé quand j’ai lu le roman Le Hobbit par J.R.R. Tolkien, quelque part en 1990. J’ai été fascinée par cette histoire et j’ai commencé à chercher quelque chose de semblable. Mais il était difficile à l’époque de trouver de la fantasy dans les bibliothèques ou les librairies, donc je suis passé à la science-fiction assez vite, et je suis revenue à la fantasy après sept-huit ans.
J’étais en 5e classe quand j’ai commencé à écrire, mais avant que je ne devienne une utilisatrice active d’internet, je ne pensais pas que de mes écrits sortirait quelque chose de sérieux. Puis, en 2002-2003, j’ai remarqué qu’il y avait des sites pour les écrivains débutants, qu’on y organisait des compétitions… J’ai participé à plusieurs d’entre elles, et en 2003, j’ai décroché une quatrième place avec une histoire intitulée Confessions d’un pion (Исповедь пешки, publié en 2006 – NdT). Cela a été un élément moteur pour moi, et j’ai commencé à écrire un premier roman. Ni le premier, ni le second ne sont des textes dont je peux me vanter, mais la troisième tentative eut plus de succès : ce fut le roman La Fiancée du vent (Невеста ветра), édité par Eksmo en 2007. Et depuis je mène mes recherches dans le domaine de l’imaginaire, en essayant de pénétrer dans les régions les plus reculées.
Quelle est la situation de la science-fiction et de la fantasy dans la République de Moldavie ? Quels écrivains de SF&F existent/ont existé, quels éditeurs de Moldavie publient de la SF&F locale ou internationale ? Quels livres peux-tu mentionner ? Où peuvent-ils publier ces écrivains ?
Je dois avouer que je ne sais pas grand chose sur la SF & F de la République de Moldavie. En 2003-2005, je fréquentais les réunions d’un club de lecture, mais ensuite certains membres ont quitté le pays, d’autres ont perdu tout intérêt… A ce stade, j’ai n’ai pas de liens avec notre communauté SF & F, sauf avec un club qui a émergé récemment et dont fait partie une diplômée de la faculté où je travaille.
Y a-t-il en République de Moldavie des auteurs d’origine roumaine qui écrivent en russe ? Lesquels ?
Y en a des auteurs d’origine russe comme Elena Belova de Tiraspol qui écrit de la fantasy ou d’origine ukrainienne comme Dmitri Gradinar de Chişinău qui écrit une sorte de SF cosmique. Mais les deux se définissent comme des écrivains d’expression russe.
Est-ce que les lecteurs de SF&F de la République de Moldavie achètent et lisent des livres en roumain, en russe et /ou en anglais ? Y a-t-il des livres de SF&F disponibles en roumain dans les librairies de la République de Moldavie ?
Dans le réseau des librairies « Librarius », j’ai vu des livres de SF & F en roumain mais ce sont souvent des œuvres classiques que j’ai lu autrefois en russe ou en anglais – par exemple, Dune de Frank Herbert et Le Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien – ou des romans des séries très populaires aujourd’hui comme Twilight de Stephenie Meyer – que je n’ai généralement pas pour habitude de lire. Je sais bien que certains lecteurs se sont plaints que la gamme des livres roumains de la SF&F présents sur le marché de la République de Moldavie est trop pauvre et d’autre part que ces livres sont presque deux fois plus chers que les livres provenant de Russie. Étant donné que la grande majorité de la population de la République de Moldavie connaît la langue russe, les fans de la SF&F lisent ce qu’ils peuvent trouver. Mais dernièrement, même avec les livres russes, la situation n’est pas bonne, il est difficile de trouver ce dont vous avez besoin. J’achète des livres sur des magasins en ligne, et je pense que certains lecteurs font de même.
Je ne peux par contre rien dire de ceux qui lisent en anglais, pas même dire approximativement combien ils sont, mais je pense qu’ils existent, parce que le nombre d’étudiants qui connaissent couramment l’anglais est en croissance stable, même si ça ne se passe pas très vite.
Y-a-t-il un secteur spécifique de l’imaginaire sur le marché de l’édition en République de Moldavie ? Si c’est le cas, peut-t-il se maintenir uniquement par les ventes locales ?
J’ai vu quelques livres de SF&F publiés à compte d’auteur – mais c’est quelque chose de très rare et ne je ne me souviens maintenant d’aucun titre, mais j’ai remarqué que la SF & F est présente dans certaines collections de livres, par exemple, dans la collection roumaine des « 101 livres à lire dans une vie », de la Bibliothèque du journal roumain Adevărul. Mais « le marché éditorial » doit être quelque chose de plus structuré, de plus spécifique. Par exemple, quand j’ai voyagé en 2012 en Croatie, j’ai trouvé dans les librairies un grand nombre de livres SF&F, des romans classiques et des nouveautés traduites en croate ; il y en avait aussi des livres des auteurs locaux. Si l’on compare à cet égard la Croatie et la République de Moldavie – alors que la première a une population à peine plus importante – alors je peux conclure que dans mon pays le marché éditorial de l’imaginaire n’existe pas et n’émergera pas dans un futur proche.
Existe-t-il des sites et des blogs de fans de SF&F en République de Moldavie ? Si oui, quels sont-ils ? Sont ils en roumain, en russe ? A quels types de site les fans ont-ils accès ?
Il existe seulement une petite communauté de fans sur Facebook, mais j’ai pas assisté à leurs réunions et je ne peux rien en dire de concret:
Tu possèdes un site web et un blog, tous deux en russe. Pourquoi ?
C’est simple – le russe est ma langue maternelle. Je pense en russe, j’écris en russe. A l’université, nous avons des groupes d’étudiants qui parlent le russe, le roumain et l’anglais, et je me suis habituée à passer assez rapidement d’une langue à l’autre mais je ne peux changer la langue dans laquelle je pense.
As-tu participé á l’Eurocon de Kiev (12-14 avril 2013)? Les prix décernées à la Roumanie ont été « Esprit de dévouement – Meilleur Site Européen : EUROPA SF » (un projet de la Société Roumaine de Science-Fiction et de Fantasy, EUROPA SF est un portail paneuropéen en anglais dédié au domaine de l’imaginaire) et un prix d’encouragement à la roumaine Ioana Vişan : http://eurocon.org.ua/press-release.html
Je suis heureuse pour les succès de la Roumanie et pour Ioana Vişan !
Pourquoi as-tu décidé d’écrire de la fantasy ? Est-ce que tu n’aime pas la science-fiction ?
J’aime la science-fiction ! Mon premier roman, qui n’a pas été publié et ne le sera pas car il requiert une révision complète – relève de la SF, de même que mes histoires écrites en 2003-2006. J’ai l’intention d’écrire de la science-fiction, mais ce sont des plans à long terme.
Quand as-tu débuté et avec quel texte ?
J’ai débuté en 2003 avec une histoire intitulée La Ville et les artisans (Город и мастера) qui a été publiée dans la revue ukrainienne Le Seuil (Порог). Il s’agit d’un texte allégorique, une parabole sur un monde post-apocalyptique peuplé de robots. J’ai lu quelque part que les auteurs de la SF et de la fantasy débutent souvent par des paraboles – et dans mon cas, c’est vrai.
Quels livres as-tu publiés, quand et où ?
J’ai publié trois livres, tous en Russie. Le premier livre, La Fiancée du vent (Невеста ветра, premier volume de la trilogie Les Enfants de la grande tempête, Дети Великого шторма), a été publié en 2007 chez Eksmo, le second, Le Premier seau (Первая печать), en 2009 toujours chez Eksmo, et le troisième, La Ville d’or (Золотой город), en 2010, chez Astrel. La Ville d’or est différente des deux premiers volumes car s’agit d’une partie de mon projet sur les « Corsaires » avec la participation de plusieurs auteurs, et il est plus un roman d’aventures que fantastique.
Peux-tu nous dire quels sont les tirages tes livres ? Les droits offert par une maison d’édition russe, par exemple, pour un roman de fantasy, sont-ils intéressants ?
7.000, 5.000 et 10.000 exemplaires.
Pour apprécier correctement les droits que j’ai reçus, je dois mentionner que d’une part ils étaient intéressants et plus favorables alors que les montants qui sont proposés aujourd’hui aux auteurs débutants, et d’autre part que ces droits ne suffisaient même pour couvrir le minimum vital au cours de cette période – alors qu’il faut 6 mois à un an, voire plus, pour écrire un livre.
Quelles ont été les réactions des acheteurs/lecteurs de tes livres ?
Certains ont fait l’éloge du style, du romantisme et du lyrisme, de l’esprit d’aventure, des créatures insolites et magiques, de la vision originale en matière de fantasy. D’autres ont critiqué ce romantisme et ce lyrisme, mais aussi le manque d’explications détaillées sur les questions qu’ils jugeaient importantes. Je me souviens d’un commentaire de lecteur qui critiquait vivement mes « frégates » comme si elles étaient quelque chose de réel … Bien sûr, j’aime les commentaires positifs, mais j’essaie d’analyser les négatifs aussi si ils sont raisonnables.
Quels sont tes sujets de prédilection ?
Mon thème préféré est la mer et tout ce qui lui est lié. Navires, folklore maritime, pirates… Dernièrement, j’ai lu beaucoup de livres historiques, publiés au cours des dernières années et des éditions anciennes des XVIIIe- XIXe siècles que j’ai trouvé sur l’internet. J’ai observé que l’histoire de la mer, du commerce maritime, des pirates de tous les périodes est une zone assez bien documentée, mais sur le folklore maritime tout ce que j’ai trouvé est en anglais. Ni en russe, ni en roumain il n’existe de travail sérieux, qui conviendrait à un écrivain intéressé ou tout simplement à une personne qui étudie ces choses.
Tu as achevé une trilogie, Les Enfants de la grande tempête (La Fiancée du vent, L’Etoile de feu, La Frégate blanche – ce dernier tome non publié actuellement), de quoi s’agit-il ?
C’est une histoire qui se déroule dans un monde où les gens vivent sur des îles éparpillées dans l’océan et luttant constamment avec les tempêtes envoyées par une entité maléfique qui s’appelle La Grande Tempête ou le Seigneur des Tempêtes. Les gens appellent, dans les moments les plus difficiles, la Protectrice, la seule déesse qui peut arrêter le Maître des Tempêtes. Autour des gens vivent les Frégates, des créatures qui viennent des profondeurs de l’océan pour servir les hommes comme une forme de navire vivant, tout en ayant une conscience et une personnalité. Chaque frégate choisit un navigateur et ils restent ensemble jusqu’à la mort. Il y a 3000 ans, le monde a été conquis par un peuple d’une autre planète qui est venu à bord un navire appelé « Étoile du matin ». Ces « enfants du ciel » appartenaient à quinze familles, chacune avec des capacités spéciales et avec un oiseau comme symbole – le Corbeau, le Phoenix, Le Pigeon, le Hibou et d’autres. Selon la légende, un Phoenix a violé la prophétie d’un Pétrel et de ce fait « L’Etoile du matin » est tombée et a été détruite, et les enfants du ciel sont restés coincés dans ce monde peu accueillant.
Mon roman La Fiancée du vent commence avec l’histoire d’une jeune guérisseuse appelé Esmé qui, en raison de circonstances imprévues, monte à bord d’un navire pirate et reste là, avant d’être impliquée dans la recherche d’un mécanisme très ancien – « la boussole céleste » – grâce à laquelle on pourrait retrouver ce qui reste de « L’Etoile du matin ».
Un autre personnage important est Cristobal, le navigateur du navire « La Fiancée du vent », qui veut connaître la vérité sur ce qui s’est passé dans les temps anciens, à cause de la dernière Phoenix vivante, après que toute sa famille ait été tuée à cause des intrigues du Capitaine-Roi, Seigneur de la moitié du monde, et parce qu’il ne veut pas être « l’héritier du Grand Traître » – en fait, il croit que le premier Phoenix avait des arrière-pensées pouvant justifier cela. C’est ainsi que cette histoire romantique et aventureuse commence, avec beaucoup de magie et pleine de mystères…
Pourquoi as-tu décidé de lancer une version anglaise de ta prose sur Amazon.com ? Il s’agit d’une traduction du russe vers l’anglais ? Qui a fait la traduction ? Quel est ton objectif ?
Oui, c’est une traduction du russe vers l’anglais, que j’ai faite moi-même. D’abord, ça a été une expérience, j’ai voulu savoir si j’en étais capable. J’ai écrit plusieurs articles scientifiques en anglais pour notre revue universitaire et ils ont été bien reçus, mais jusqu’à ce moment, je n’avais pas essayé de travailler à des textes littéraires. J’ai commencé… ligne après ligne, page après page… Je n’étais pas pressée, et il m’a fallu quelques mois pour achever la traduction . Puis je l’ai envoyée à des amis qui connaissent bien l’anglais, ainsi qu’à une traductrice professionnelle et professeur d’anglais, qui a corrigé toutes les fautes. Elle a considéré que ma traduction était très bonne, ce qui m’a incité à essayer Amazon.com. Il s’agit-là de la deuxième phase de mon expérience.
Pour parler franchement, le résultat m’a déçu. J’ai compris que pour avoir des ventes plus importantes sur Amazon, il est nécessaire de faire quelque chose pour la promotion des textes, car ceux-ci se retrouvent perdus parmi des dizaines de milliers de publications du même genre. Je n’ai pas ni le temps ni la force pour ça, et j’ai laissé mon volume sur Amazon tel qu’il est… Peut-être que dans le futur j’essaierai de nouveau.
Peut-on vivre de l’écriture en République de Moldavie ?
C’est peu probable. Peut-être si vous écrivez un roman tous les six mois et si ces romans seront publiés à l’étranger et qu’ils seront couronnés de succès…
Patrice Lajoye (avec son épouse Viktoriya Lajoye) a décrit la situation de l’imaginaire sur le marché russophone : diminution des exemplaires par titre, arrêt des revues majeures tels que Esli et Polden’ XXI Vek, piratage incontrôlable, des écrivains importants se tournant vers l’industrie cinématographique et la télévision, vers les marchés occidentaux et surtout vers le marché anglophone, etc. Quelle opinion as-tu à ce sujet ?
Il s’agit d’une situation de crise un peu paradoxale. La Convention Nationale de SF&F de Russie (Rosscon) recense chaque année tous les ouvrages spécialisés publiés durant l’année précédente, et pour les trois dernières années, la situation se présente comme suit :
Rosscon 2011 – 598 romans
Rosscon 2012 – 774 romans
Rosscon 2013 – 784 romans
Le nombre de livres publiés est en croissance, mais qu’en même temps leur tirage diminue, non pas jusqu’à 500 exemplaires, mais d’après ce que je sais jusqu’à 2500-3000. Les lecteurs se plaignent sur internet qu’ils n’ont rien à lire – pourquoi ? Je pense que souvent les livres publiés exploitent les thèmes à la mode ces derniers temps, des histoires de nos contemporains échoués dans le passé/le futur/sur d’autres mondes, et beaucoup d’histoires post-apocalyptiques. Par conséquent, la catégorie des lecteurs ayant des exigences plus élevées n’a rien à lire et commence à explorer le marché de l’édition anglo-américaine qui est beaucoup plus varié. Mais les écrivains qui ne parviennent pas à se mouler dans le « lit de Procuste » du marché de l’édition russophone en appellent aux petits éditeurs russes qui utilisent les services du print on demand – autrement dit, c’est de là que le chiffre de 500 exemplaires vient. Ou bien ils essayent de se tourner vers le marché occidental. Certains ont réussi, par exemple les livres d’Alexei Pekhov ont été traduits non seulement en anglais mais aussi en français, allemand et italien.
Il y a aussi le problème du piratage, je ne sais comment en parler car la plupart de mes lecteurs, qui sont maintenant impatients de voir paraître ma trilogie des Enfants de la grande tempête chez Fantaversum, ont admis qu’ils lisent la version piratée du premier tome, La Fiancée du vent, qu’ils sont tombés amoureux de ce livre et qu’ils iront acheter toute la trilogie. Bien sûr, piratage informatique et et la crise éditoriale compliquent les choses pour des nombreux écrivains, et pour moi aussi. Mais en même temps c’est un défi, du genre de ce que Freddy Mercury chantait : « I consider it a challenge before the whole human race… ». On verra ce qui en sortira.
Tu as dit que parmi tes auteurs préférés, il y a les époux Sergueï et Marina Diatchenko et Henry Lion Oldie. Comment les as-tu découverts ? Grâce aux éditions russes de leurs livres ? Qu’est-ce que tu aimes à propos de ces auteurs ukrainiens ?
Dans la première moitié des années 90, j’ai lu beaucoup des livres de SF&F, mais ils étaient d’auteurs étrangers traduits en russe. Delany, Herbert , Asimov, Zelazny… Parmi les écrivains russes j’avais effectivement seulement entendu parler d’Arkadi et Boris Strougatski et de deux-trois autres auteurs de la période soviétique. Et un jour j’ai vu dans une librairie la revue Esli, et dans le tout premier numéro que j’ai acheté, j’ai lu une histoire des Diatchenko. Leur prose est lyrique, pleine d’émotions, ils montrent une connaissance approfondie de la psychologie, j’ai toujours aimé la façon dont ils gèrent les situations de conflit qui touchent leurs héros.
Mais le cycle des Yeux affamés de l’abysse par Henry Lion Oldie m’a été recommandé par un libraire qui connaissait mes goûts, il m’a dit : « Ce livre vous plaira ! » Et il avait raison. En comparaison avec les œuvres des Diatchenko, la prose en duo de Dmitri Gromov et Oleg Ladyjenski est plus dynamique mais dans le même temps complexe et profonde, et leur style est très différent. Depuis, j’achète tout ce qui paraît sous leur nom, même si je n’aime pas toujours ce que ils écrivent – mais chaque auteur a le droit de chercher son chemin et pour les meilleurs cette recherche ne finit jamais.
Quels sont les autres auteurs de SF et Fantasy qui tu aimes ?
Mes goûts en matière de SF et fantasy sont variés. Depuis 2011 je lis beaucoup en anglais et j’ai découvert un certain nombre d’auteurs qui me plaisent. Par exemple, Felix Gilman (The Half-Made World, The Rise of the Ransom City), Mary Gentle (The Black Opera), Hannu Rajaniemi (The Quantum Thief, The Fractal Prince) et d’autres … J’ai découvert Patricia McKillip, sa prose originale s’est avérée être plus belle que dans la traduction (je veux dire tout d’abord la célèbre trilogie The Riddle-Master, mais aussi ses derniers romans tels que The Bell at Sealey Head). J’ai continué de lire les romans de Guy Gavriel Kay , mais déjà dans l’original. Parlant de la littérature russe, je dois mentionner en particulier Xenia Medvedevitch avec sa série extraordinaire de fantasy orientale, Le Gardien du trône (Страж Престола) qui commence avec le roman Le Faucon caliphe (Ястреб халифа).
Et récemment, j’ai commencé à lire le roman de Michael Flynn, The January Dancer et j’ai eu une agréable surprise – je ne pensais pas qu’après Nova par Samuel Delany de voir un autre space opera écrit avec un art si poétique. Je n’ai pas lu ce livre rapidement, car presque chaque phrase est un vrai miracle.
Que-ce que tu sais sur la SF&F roumaine ?
D’une part, malheureusement, je ne sais rien, d’autre part, cependant, je dois remercier une certaine SF en roumain pour le fait que je parle maintenant cette langue assez bien : au début des années 90 j’ai suivis sur la chaîne de télé « România 1 », la série américaine Star Trek : The Next Generation, avec des sous-titres en roumain et progressivement j’ai appris le roumain … Ce fut très agréable quand mon professeur remarqua que j’avais commencé à utiliser certains mots et expressions que les autres élèves ne connaissaient pas. Ces épisodes étaient parfaits pour mes cours de langue roumaine, ainsi que la série que j’aimais et j’ai regardée attentivement.
As-tu lu quelque chose de la SF&F roumaine ? Si oui, quoi exactement ?
Malheureusement, je n’ai rien lu…
Serais-tu intéressée d’être présente sur le marché roumain du livre ?
Bien sûr. Je pense que pour n’importe quel écrivain un nouveau marché est un rêve et en même temps un défi.
Est-ce que tu peut donner aux lecteurs de la Revue de la Société Roumaine pour la Science-Fiction et Fantasy, un échantillon de votre prose, une histoire par exemple ?
Je tiens absolument à le faire, mais j’ai besoin de temps pour traduire un de ces textes dont je suis fière.
Si tu étais invitée à la Convention Roumaine de Science-Fiction (ROCON ) de Iaşi (Jassy) cette année, viendrais-tu ?
Oui, je pense que ça serait très intéressant.
Quels sont tes projets futurs ?
Mes plans à court terme sont simples : prendre soin de la rédaction de ma trilogie Les Enfants de la grande tempête, dont la publication s’achèvera en Russie en 2014 chez Fantaversum.
Fantaversum utilise le modèle de l’impression à la demande et les tirages ne peuvent pas être estimés pour le moment. En tant que tel, c’est est toujours une expérience, et de ses résultats dépendent beaucoup de choses.
Après avoir terminé cette trilogie, je m’attacherai à une nouvelle série qui comprend actuellement seulement mon récit non-publié Le Carnaval des ombres (ce récit est cependant en ligne sur le site de l’auteur – NdT). Certes, ce n’est pas de la science-fiction, l’élément magique est présent, mais ça ne correspond pas non plus aux limites de la fantasy traditionnelle, mon texte ressemble plutôt au steampunk ou au soi-disant new weird. Dans l’univers du Carnaval des ombres, y en a des marins – des magiciens dont les pouvoirs surnaturels sont liés à la mer qui est transportée dans leur âme (comme je l’ai déjà dit, la mer est l’un de mes sujets favoris et d’une manière ou d’une autre elle se manifeste largement dans tout ce que j’ai écrit depuis 2006). En outre, chaque fois que vous utilisez cette énergie de la « mer intérieure », tout autour est affectée par « la chaotique » – une force qui transforme la matière suivant les moyens les plus inattendus, comme un rayonnement magique. Les « Ombres » sont des fantômes ou plutôt des souvenirs qui vivent une vie qui leur est propre. Dans ce monde étrange se déroule l’histoire de deux enfants égarés, un magicien qui a perdu le but de sa vie et une femme-ombre, patronne d’un cirque.
J’ai aussi des plans à long terme. Je vais essayer d’écrire de la science-fiction, j’ai quelques idées intéressantes à cet égard, mais il est trop tôt pour en dire quelque chose de concret. Je veux traduire au moins une partie de ma trilogie Les Enfants de la grande tempête en anglais… et peut-être en roumain. En bref, je n’ai aucun problème pour ce qui concerne d’avoir des projets et des idées, mais le temps me manque pour réaliser mes rêves.
Et une dernière question, étant donné que le sujet favori de la Société Roumaine pour la Science-Fiction et Fantasy est l’anticipation, à ton avis, comment anticiper la direction que va suivre la République de Moldavie dans les années à venir, vers l’ouest ou vers l’est ?
Strictement parlant, nous n’avons pas été invités par ceux de l’est – la République de Moldavie ne fait pas partie de l’Union eurasienne – et ne peut pas en devenir un état membre tout simplement parce que elle n’a pas de frontière commune avec la Russie et les autres pays qui font partie de cette union. Compte tenu de ce qui oriente maintenant la Republique de Moldavie, je pense que nous marcherons vers l’ouest. Mais comment cela va changer nos vies, je n’en ai aucune idée…
Merci, Natalia, cela a été un vrai plaisir de discuter avec toi. Je te souhaite beaucoup de succès !
Je te remercie !
© Cristian Tamaş
Traduction française par Cristian Tamaş.
L’interview originale en roumain a été publiée dans la Revue de de la Société Roumaine pour la Science-Fiction et Fantasy