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Les critiques de Leo Birinski

Birinski couverture

La Danse des fous de Leo Birinski a été jouée un peu partout en Europe, avant la Première Guerre mondiale, et ce y compris en France. Elle fut créée en 1912, mais elle n’arriva chez nous qu’en 1914. Cela aurait pu mal se faire, car en 1912, un critique anonyme, sur la fois de témoignages de seconde main, écrivait dans Le Monde artiste :

« Munich. – La Danse des fous, de M. Birinski, a obtenu un succès d’estime. On avait fait beaucoup de bruit autour de cette œuvre qui, finalement, a paru lourde, longue et monotone. »

Le Monde artiste, 12 octobre 1912.

Pourtant, la pièce fut adaptée par Maurice Rémon, et jouée par la troupe du théâtre de l’Œuvre, d’abord dans ses propres locaux, puis au théâtre Antoine. Et ce fut un succès, tant populaire que critique. La plupart des grands journaux, tant quotidiens qu’hebdomadaires, de gauche comme de droite, voire d’extrême droite, en ont vanté les qualités.

La pièce, visiblement, aurait pu devenir un classique. Mais il y eu la guerre, puis l’émigration de Leo Birinski aux USA : l’auteur, devenant scénariste et producteur de cinéma, abandonna alors son œuvre théâtrale. Et pourtant ce succès avait tout pour le satisfaire. Il se fendit d’ailleurs d’une lettre, publiée dans le Journal des débats politiques et littéraires (6 avril 1914), adressé au directeur de la troupe :

« Mon cher directeur et ami,

Voilà ce qui peut arriver de plus agréable et de plus flatteur à un dramaturge : dans la même semaine être à l’Œuvre, puis au théâtre Antoine, où se groupent les souvenirs les plus glorieux des lettres françaises et justement sous la direction du grand artiste Gémier.

L’accueil de la répétition générale, si sympathique à un écrivain étranger, me touche infiniment, et je voulais, avant la reprise de lundi, en dire ma reconnaissance à la critique et au public parisien.

Votre,

Léo Birinski »

Nous avons recherché ces critiques anciennes de la Danse des fous. Elles sont nombreuses. En voici une sélection, classée par ordre de publication. Et si elles dévoilent beaucoup du contenu de la pièce, elles n’empêche en rien sa lecture, tant Leo Birinski a le sens de la formule, de la phrase drôle.

Edmond Sée, Gil Blas, 1er avril 1914

À l’Œuvre, nous avons écouté une pièce âpre et curieuse, de M. Léo Birinski : « La Danse des fous », et deux actes philosophiques de M. Pierre Bienaimé : « Les Pygmées ».

L’auteur de la première comédie est un jeune écrivain russe, dont l’esprit satirique s’est éveillé, je pense, durant les chaudes journées de 1905. Ainsi M. Birinski a fait, d’après nature, plusieurs observations touchant la misère intellectuelle des paysans, la folie novatrice des étudiants, et la vénalité des fonctionnaires, en Russie. Ces observations forment le fond âpre et joyeux de sa pièce : La Danse des fous. Et les fous, ce sont les acteurs de cette grande révolution qui avorta, en grande partie, à cause des rôles mal appris, mal compris ou mal distribués.

Les trois actes de la Danse des fous forment, en réalité, trois tableaux, dont le premier se relie directement au dernier. Quant au second — le meilleur — ce n’est qu’une manière d’intermède destiné à nous montrer « les fous » en pleine effervescence.

Donc, voici, au premier acte, certain gouverneur, que sa femme trahit avec un apprenti révolutionnaire, nommé Kosakow. Le gouverneur supporte fort bien les menées amoureuses de sa compagne (qui est sa seconde femme), car il est pour la paix à tout prix ! Pour la paix ; et aussi pour les gras émoluments que lui vaut sa charge, et qu’il voudrait grossir encore, le bon gouverneur ! Mais, dans ce trou de pays, il ne se passe rien. Ah ! si l’on pouvait « mettre la main » sur quelque chose : une bonne petite révolution, ou seulement un attentat ! Voilà qui justifierait toutes les demandes de crédits supplémentaires. De plus, on serait bien vu en Haut lieu !

Le gouverneur, d’accord avec son secrétaire, imagine peu à peu d’organiser une comédie pour arriver à ses fins. Voici : le secrétaire tirera un coup de pistolet (en l’air), et son maître fera semblant de s’affaisser. Attentat terroriste ! Et, après, on avisera. Aussitôt dit, aussitôt fait. Le coup de feu part. Le gouverneur tombe. Et ses amis, ses serviteurs l’entourent, affolés.

Cependant, en voici bien d’une autre. Au dernier acte, Kosakow, l’ami de la femme du gouverneur, se dénonce comme étant le coupable ! S’il a tiré, c’est qu’il aimait sa maîtresse, et haïssait le mari. Crime passionnel, par conséquent ; et, ainsi, l’héroïque jeune homme sauvera ses compagnons.

Vous devinez l’ahurissement du gouverneur devant ce pseudo-coupable, qui ne rêve que d’être arrêté, tandis que l’autre ne cherche qu’à étouffer l’affaire. Les deux compères nous donnent un réjouissant spectacle, jusqu’au moment où une dépêche du gouvernement annonce au gouverneur qu’on récompense largement ses services.

J’ai volontairement omis de parler du second acte, me réservant de le conter à part. Ce second acte n’est, en effet, qu’un tableau de mœurs. Et il se compose de scènes presque toutes accessoires, et qui n’ajoutent pas grand-chose à l’épisode principal : du gouverneur codifié et conspirant contre lui-même. Elles n’en sont pas moins, ces scènes, très significatives et d’une puissante et, parfois, très atroce ironie.

Décor : une salle d’école. Dans cette salle, les étudiants conspirateurs. Peu à peu ils s’exaltent, se grisent pour l’idée révolutionnaire, chacun servant sa chimère, et, en croyant parler pour tous, ne songeant en réalité qu’à soi-même. Ainsi l’étudiant juif plaide la cause de ses coreligionnaires ; la féministe, celle du féminisme, etc. En réalité, ces pauvres jeunes gens sont animés des meilleures intentions, mais leur cerveau, un peu jeune et un peu fumeux, les entraîne ici et là, sans frein ni règle ; et ils ne savent au juste ni ce qu’ils souhaitent réellement, ni où ils vont, Le moindre mot, le moindre refrain les enflamme et les égare. Si bien que lorsque, soudain, un vieux paysan presque gâteux est amené devant cet aréopage (à la suite de circonstances fortuites) et ne peut que balbutier : « Ne me faites pas du tort ! Qu’on ne me fasse pas du tort ! », ces pauvres et naïfs artisans d’une révolution improbable et avortée d’avance l’entourent, le réconfortent, lui jurent qu’on le protégera, et, à propos de lui (qui n’est plus là, qui a pris la porte), agitent les plus graves problèmes sociaux, les plus grands problèmes humanitaires.

Cet acte est d’une ironie très originale, très puissante, qui va loin. L’homme capable de le concevoir et de l’écrire mérite notre estime la meilleure. Il ne faut pas la lui marchander. Et à cause de cette simple scène, « du Paysan et des Étudiants », nous devons lui pardonner ce que le début de la pièce et le dénouement offrent d’un peu concerté, de trop appuyé, sans doute, et d’outrancièrement vaudevillesque.

La Danse des fous, mise en scène avec intelligence et habileté, a été excellemment interprétée dans l’ensemble par MM. Froment, Savoy, Blancard, Bernard, Lugné-Poë (c’est lui le vieux paysan, et vous voyez d’ici ce que l’artiste a fait d’un tel personnage !), Lacressonnière ; Mmes Vernoux et Kessel, remarquables comédiennes, si vivantes, si bien ajustées.

Adolphe Aderer, Le Petit Parisien, 2 avril 1914

L’Œuvre a donné hier, au théâtre Antoine, la Danse des fous, pièce habilement adaptée du russe, de M. Birinski par M. Maurice Rémon et qui, sous sa fantaisie un peu osée et malgré son parti pris satirique, n’en est pas moins une étude très documentée de mœurs administratives et révolutionnaires russes.

Un gouverneur de province, pour obtenir du ministère des fonds supplémentaires sous prétexte de combattre le nihilisme, a envoyé des rapports où il raconte de prétendues menées de conspirateurs : il a peur qu’on ne finisse par apprendre la vérité à Saint-Pétersbourg, à savoir que son gouvernement est le plus tranquille de toute la Russie, et d’accord avec son secrétaire, il fait tirer sur sa personne deux inoffensives balles de revolver. Or, son district est précisément le refuge d’un grand nombre de révolutionnaires qui s’y cachent sous des noms supposés. Ils ont intérêt à y maintenir le plus grand calme pour ne pas attirer l’attention de la police sur cette terre d’asile, aussi sont-ils consternés à la nouvelle d’un attentat qu’ils prennent pour un acte d’indiscipline imbécile commis par un compagnon.

Afin d’en pallier l’effet, l’un d’eux, familier de la maison du gouverneur, et que la femme de celui-ci poursuit de son amour romanesque et suranné, se dénonce comme auteur de la tentative criminelle à laquelle il aurait été entraîné, dit-il, par une passion irrésistible pour son épouse. On devine la stupéfaction et la déconvenue du gouverneur.

Cette pièce étrange a été jouée avec une gesticulation de fantoches, que comportaient, semble-t-il, les intentions de l’auteur, par M. Jean Froment, un gouverneur falot et débonnaire, Mme du Rieux (la femme du gouverneur), fort divertissante, et M. Lugné-Poé, symbolique et excitant la pitié, en paysan russe.

Charles Martel, L’Aurore, 3 avril 1914

La Danse des fous que M. Lugné-Poë a montrée de très pittoresque façon, soignant à l’exquis ses types de nihilistes, est une très pessimiste et ironique pièce qui tourne au bouffon, à la manière de tant de drames. C’est une histoire de révolutionnaires et de policiers, les uns et les autres très vrais d’ailleurs et tout à fait dignes d’être du « Grand Soir », mais présentés de façon à dégager la drôlerie contenue en tout acte et en tout être si bien que Montaigne a pu dire : « Toutes nos vocations farcesques ».

Pour mieux préparer l’avenir les révolutionnaires d’une certaine province russe ont voulu que le présent n’inspirât aucune inquiétude au bon ordre et à ce qu’il n’arrive rien de fâcheux au général gouverneur. C’est un point que ce dernier, exaspéré d’être inutile en vient à simuler un attentat. Son secrétaire décharge deux fois un revolver et raconte que les balles ont été tirées du dehors. Navrement des révolutionnaires. Il faut parer le coup. À une réunion – et le tableau est une critique charmante et discrète des types et des idées nihilistes – il est décidé que l’on fera croire à un attentat non plus politique mais passionnel. Justement Kosakow, par dévouement à la cause a cédé aux terribles instances de la femme du gouverneur, il prétendra avoir tiré sur le mari pour posséder l’aimée à lui tout seul. Et la scène est vraiment excellente où il vient se livrer au gouverneur comme auteur de l’attentat que le gouverneur sait n’avoir pas été commis. Pour le décider à se rétracter les offres les plus brillantes lui sont faites, y compris celle de la générale, mais un faux aveu en entraîne de véritables et le général apprend et qu’il y a réellement des révolutionnaires dans la province et que pour s’assurer contre toute trahison, ils ont déposé leur caisse au palais même du gouverneur. Maintenant le gouverneur feint d’être de mèche avec eux, se trouve armé pour mériter toutes croix et tout avancement.

Ces gens sont fous (c’est la danse des fous), et ainsi est-il permis de dire qu’ils sont vrais. On a beaucoup ri et M. Lugné-Poë, admirable en un vieux paysan abruti que les nihilistes prennent comme pure expression de la conscience populaire, MM. Froment, Savoy, Blancard, Cerny, Mmes Vernoux, Gaby Kessel, du Rieux, Richard Turner, ont donné en artistes tout son mouvement à la danse.

Robert de Flers, Le Figaro, 5 avril 1914.

Lugné-Poe – et nous ne saurions trop l’en louer – poursuit avec un zèle et une initiative qui ne se ralentissent point la série des représentations de « l’Œuvre ». Celle qu’il vient de nous offrir nous a permis de connaître un ouvrage extrêmement curieux, d’un ton cinglant et original – et qui nous présente la littérature russe sous un aspect violemment comique qui, il faut bien l’avouer, n’est pas toujours le sien. Cette pièce a pour auteur M. Léo Birinski, et s’appelle La Danse des fous.

C’est une farce satirique sur la révolution russe de 1905. Nous avons, en France, un respect touchant pour les révolutionnaires slaves ; nous aimons qu’ils nous émeuvent ou qu’ils nous fassent trembler. Cette fois, ils nous ont fait rire ; ils sont devenus, ainsi que leurs ennemis et leurs persécuteurs, des personnages comiques. Grâces en soient rendues à l’humour de M. Birinski. Cet humour, qui fait songer parfois à Bernard Shaw, est singulièrement âpre et puissant tout en restant dans le ton de la bouffonnerie. L’ironie de l’auteur n’épargne ni les intellectuels, ni les fonctionnaires, ni le peuple, et son œuvre ressemble à un vaudeville politique et social, qui serait inspiré par un nihilisme dilettante et un mépris sans bornes de l’humanité. L’idée de la pièce est ingénieuse et plaisante ; les effets sont parfois un peu gros : il y a excès dans la charge ; peut-être, à l’étranger, où La Danse des fous a rencontré un grand succès, goute-t-on mieux qu’en France ce comique violent et un peu lourd, mais nous préférons plus de légèreté dans la satire.

Le gouverneur d’une province russe, vénal comme ils le sont tous depuis Gogol, veut faire croire à Saint-Pétersbourg que sa province est en proie à la révolution ; ainsi on lui enverra, pour lutter contre elle des subsides qu’il mettra dans sa poche. Il simule un attentat contre sa personne, en faisant tirer en l’air deux coups de revolver par son secrétaire. Les révolutionnaires de la ville, étudiants pour la plupart, sont désespérés de l’incident, car ils ne désirent qu’une chose : le maintien de l’ordre. Utopistes et bavards, ils se disputent entre eux, mais ils veulent que la police les laisse tranquilles. Alors, l’un d’eux, Kosakoff, ira se dénoncer au gouverneur comme l’auteur de l’attentat, afin que ses camarades ne soient pas inquiétés ; il déclarera qu’il aime la femme du gouverneur, et qu’il a tiré sur lui par jalousie. La scène entre Kosakoff et sa prétendue victime est d’une bouffonnerie charmante ; le gouverneur se refuse à envoyer l’étudiant en prison, et il veut à tout prix lui céder sa femme pour s’en débarrasser. Il a réussi, malgré les révolutionnaires, à organiser un semblant de révolution. Aussi reçoit-il un avancement mérité.

Jean Froment a eu de la verve et de l’adresse dans le rôle du gouverneur ; M. Lugné-Poe a été fort amusant dans celui du vieux paysan stupide qui répète toujours la même phrase ; MM. Savoy, Blancard, Armand Bernard, Mmes Vernoux, Gaby Kessel, Du Rieux, méritent d’être nommés.

Léonce Beaujeu, L’Action française, 5 avril 1914.

Curieux spectacle au Théâtre de l’Œuvre. Nous sommes un peu blasés sur les grands auteurs moscovites, les génies slaves. Le Birinski que M. Lugué-Poë nous a révélé par l’adaptation de M. Maurice Rémon mérite pourtant qu’on l’écoute.

Auriez-vous cru qu’un pût faire (et autrement que dans Tartarin sur les Alpes) de la bouffonnerie avec la révolution russe et le nihilisme ? C’est ce que Birinski a fait dans la Danse des fous. Je vais d’ailleurs vous dire le secret de Birinski, et il est bien simple : Birinski méprise toute l’humanité, les brigands comme les gendarmes, et toutes les idéologies, celle de l’ordre comme celle du désordre. Il se rit même de l’amour. Il se plaît à étaler la niaiserie de la jeunesse : c’est ce qu’on peut voir de plus fort en fait de scepticisme, de plus complet en fait de pessimisme… Le gouverneur de la province est désolé que sa province soit la plus tranquille de toute la Russie parce que, de la révolution à réprimer, cela rapporte de l’avancement et aussi des fonds dans lesquels le tripotage est facile. D’autre part, les révolutionnaires dont ladite province est l’asile, ne veulent pas y troubler l’ordre. Le gouverneur en vient à simuler un attentat contre sa propre vie. Un des nihilistes s’en accuse, mais transforme le prétendu crime politique en drame passionnel, sous prétexte qu’il aime la femme du gouverneur. En réalité ce nihiliste est un grand héros, car la femme du gouverneur est une terrible harpie. – « Prenez-la donc, dit au nihiliste le cynique fonctionnaire. » Il y a là, entre les deux hommes, une scène d’un comique bien appuyé, bien prolongé, un comique un peu cosaque, parfois avec d’assez bons traits. Remarquable aussi, pour sa verdeur, l’acte où l’on voit le club nihiliste en délire idéologique. M. Lugué-Poë a dessiné une étonnante figure de paysan russe qui représente le « peuple » aux yeux des jeunes anarchistes d’Université. Tout cela a une forte saveur de slavisme. C’est de l’ironie d’ours blanc.

Adolphe Brisson, Le Temps, 6 avril 1914

Un effroyable déluge d’œuvres nouvelles nous a, cette semaine, submergés. Il nous est on ne peut plus douloureux de les passer sous silence, ou de ne leur consacrer que des lignes hâtives. Quelques-unes auraient droit à un meilleur traitement. M. Lugné-Poé, toujours attentif à suivre les manifestations des littératures étrangères, a révélé aux Parisiens les beautés singulières, savoureuses, de la Danse des fous, de M. Léo Birinski, satire âpre, sinistre et comique des milieux révolutionnaires et des mœurs administratives de la Russie. L’auteur flagelle tout ensemble le cabotinage du faux nihilisme, la corruption du fonctionnarisme, maux qui ne se neutralisent pas, mais s’additionnent pour la plus grande misère des braves gens. Je souhaite vivement que de nouvelles représentations de cette comédie soient offertes au public. Ce me sera une occasion d’en reparler.

Gabriel Reuillard, Les Hommes du jour, 11 avril 1914.

Lugné Poe connut, avec ses spectacles du Théâtre de L’Œuvre qu’il dirige, des fortunes diverses. Cette fois, en montrant avec soin et avec ingéniosité, La Danse des Fous, trois actes de M. Léo Birinski, adaptés par M. Maurice Rémon, il a donné un spectacle attrayant, original, heureux. À dire vrai, cette pièce bouffonne quelquefois, impertinente et vive, est d’une amertume très caractérisée. Et pour être caustique, son pessimisme n’en est pas moins désabusé. Cette danse des fous, ce n’est, au fond, que l’avortement de nos rêves d’émancipation humaine. Et si la ronde en est, parfois, échevelée, les mobiles qui la dirigent et la font se mouvoir ne sont, hélas ! que de pauvres petits mobiles sans chaleur. Cette pièce est assez difficile à classer pour le critique. Elle tient à la fois de la satire et de la comédie – et quelquefois aussi du vaudeville. Elle est cependant bien écrite, c’est-à-dire que ce que nous en connaissons par l’adaptation est clair, sûr et hardi. Il faut féliciter M. Lugné Poe d’avoir fait connaître cette Œuvre intéressante.

Henri Bidou, Journal des débats politiques et littéraires, 13 avril 1914

Léo Birinski est un jeune auteur russe fixé à Vienne et qui a donné deux pièces sur la révolution de 1905. La première se nomme Moloch. C’est une tragédie, dont quelques scènes sont parmi les plus poignantes qui se puissent voir. Tout le début est le tableau d’un groupe ardent de révolutionnaires, dans une ville russe. Leur chef Sacha est prisonnier ; ils le délivreront. Ils font avec une simplicité héroïque le sacrifice de leur vie. Et quelle hécatombe ! Il y a un an ils étaient soixante-huit, ils sont maintenant une vingtaine. Quatre se font encore tuer en délivrant Sacha, qui est tiré de prison dans la bière d’un mort. Pourquoi tiennent-ils à ce point à le délivrer ? C’est qu’il ressemble étrangement au lieutenant du gouverneur. Il pourra à la faveur de cette ressemblance pénétrer dans le palais, et tuer le gouverneur… On sacrifie quatre existences pour le rendre libre et pour l’envoyer tuer. Seulement dans la prison Sacha a réfléchi. Il hait ce monstre dévorateur de tant de vies, cette Humanité, abstraction, vue de l’esprit, pour qui il va mourir. La révolution ne lui paraît plus qu’un jeu de fous, et il refuse maintenant d’assassiner. Mais est-on libre de choisir ses actions ? Il se sent emporté par le courant qu’il a lui-même créé. Il faut donc qu’il tue, et il demande à périr en même temps qu’il frappera. Mais le destin ne lui laisse pas le temps d’agir. Une servante, en croyant le protéger, le dénonce. Les cosaques arrivent et l’abattent. Au moment de mourir, il prie l’officier de s’approcher et il lui fait en expirant cette recommandation ironique : « Saluez pour moi l’Humanité. »

La pièce que M. Lugné-Poe avait jouée à l’Œuvre et que M. Gémier vient de reprendre est une comédie. On y trouverait sans peine le même fond d’amertume, et tout le second acte est une peinture à la fois attendrie et ironique des révolutionnaires, de leurs discussions éternelles, de leurs méprises, de leur candeur, de leur héroïsme intempérant et obstiné. En face d’eux l’auteur a représenté le fonctionnaire tel déjà qu’il était peint au temps de Gogol, et Ivan Chabarovitch, cupide, vénal et faible, ressemble aux personnages du Reviseur. Seulement l’auteur a inventé une situation qui est la pièce même et qui est fort plaisante. Les terroristes ne veulent pas de révolution dans cette ville, où ils se réfugient et où ils cachent leurs archives, et au contraire des troubles sont absolument nécessaires au gouverneur, qui a déjà mangé l’argent nécessaire à les réprimer. De sorte que Chabarovitch organise un attentat contre lui-même, au grand effroi des révolutionnaires… La comédie est d’une verve fort plaisante, mêlée par endroits de passages émouvants ; et la satire, tantôt caustique, tantôt presque attendrie, se traduit par des traits de caractère, des incidents, des oppositions et des surprises qui sont de l’excellent théâtre.

Edmond Stoullig, Les Annales du théâtre et de la musique, 1914-1915, 1916.

Le 1er avril 1914, l’Œuvre nous avait donné, sur la scène du Théâtre Antoine, accompagnés des Pygmées, deux actes, de M. Pierre Bienaimé, la Danse des Fous, comédie en trois actes de Léo Birinski, adaptation de M. Maurice Rémon. Traduite en toutes les langues, même en japonais, jouée le même soir dans quinze villes différentes la comédie satirique de M. Birinski, la Danse des Fous, excita partout une vive curiosité. Curiosité justifiée par l’ironie gaie, le scepticisme exhilarant qui se dégagent d’une observation de mœurs, souvent poussée à la charge. Il semble que l’auteur, après tant de tragédies révolutionnaires, de tentatives libertaires noyées dans le sang des anarchistes russes, se soit décidé à ne pas prendre tout cela au sérieux. La Danse des Fous, c’est-à-dire l’agitation inutile de pantins politiques et sociaux – et aussi la danse des idées généreuses jetées au hasard comme le grain qu’on sème, et qui vole, et qui tombe, et qui germe au hasard du vent qui souffle.

Et aussi la danse de l’ambition, de la corruption des fonctionnaires, qui finit par entraîner, dans son tourbillon destructeur, les poètes qu’agite l’idéal social, victimes naïves de leur élan de charité. Cependant – et c’est pour être autorisé à toutes les audaces – l’auteur a pris pour point de départ une donnée d’opérette. Un gouverneur de province de la Russie méridionale, vieux, grotesque, ambitieux, craint de n’être plus en faveur en haut lieu, car il n’a à réprimer aucun complot anarchiste. Si la province reste à ce point tranquille, quel prétexte aura-t-il pour demander que la police de Pétersbourg lui envoie des fonds destinés à la répression ? Sans compter que le bruit peut se répandre qu’il lance de fausses nouvelles d’agitation politique : il risque alors la Sibérie. Pour sauver sa situation, il organise donc un faux complot. Son secrétaire tirera par la fenêtre quelques coups de revolver ; on criera : « Au meurtre ! » Le gouverneur simulera des blessures et le tour sera joué. Or, cette province est le refuge d’une bande d’étudiants révolutionnaires ; se trouvant là en sûreté précisément par le défaut d’attentats ils se sont opposés à toute manifestation brutale qui donnerait l’éveil sur leur présence réelle en faisant naître des perquisitions. Le second acte nous montre précisément une réunion de ces étudiants.

Birinski y a habilement et comiquement exposé l’incohérence et la candeur d’esprits enthousiastes, qui, hypnotisés par le bonheur de l’humanité, incapables de réaliser leur rêve, cherchent à le formuler en des mots vides et sonores dont chacun comprend le sens différemment. Les diverses questions sociales y sont effleurées : l’antimilitarisme, les lois agraires, le féminisme, la diffusion des écoles, le problème juif. Tout le monde parle en même temps – personne n’écoute. Et au sein de ces tentatives d’envolée plane le symbole du peuple en la personne d’un vieux moujik tremblant et pitoyable qu’on cherche à faire entrer dans les discussions de haute portée sociale, à qui on demande son avis, et qui, ignorant, asservi, dominé par la crainte, ne sait que répondre : « Permettez, petit père, qu’on ne me fasse pas de tort ! » Jusqu’au moment où, symbole du peuple, victime de sa faiblesse même et de sa résignation, c’est lui que le maître emprisonne à coups de pied dans le derrière. Brusquement un des étudiants vient annoncer une grave nouvelle. Un attentat (le faux attentat) a été commis. Ainsi la sécurité de tous se trouve compromise.

Que faire ? Pour empêcher les perquisitions et les recherches de complices, il faut que l’un d’eux, au hasard, se dénonce. Il avouera avoir tiré, non par haine politique, mais pour une raison intime : la jalousie passionnelle par exemple. Et c’est pourquoi celui qu’on envoie se dénoncer, c’est-à-dire à la mort, sera l’amant de la femme du gouverneur.

Alors les têtes se découvrent, et en l’honneur de la victime expiatoire, tous, respectueusement, douloureusement, entonnent l’hymne des esclaves. Cet acte, vraiment curieux, d’une psychologie pittoresque, finit presque en beauté. Le troisième acte est de pur vaudeville. L’étudiant qui se dévoue est accueilli comme l’ami de la maison ; mais, dès que le gouverneur comprend qu’on est venu lui parler de l’attentat, il croit qu’on a deviné son subterfuge et ne veut rien savoir. – « Le meurtrier, c’est moi ! » crie obstinément l’étudiant, le visage illuminé par son sacrifice. « Il est devenu fou ! » conclut le gouverneur qui flatte sa manie, et l’adjure pourtant de consentir à ne pas se faire mettre en prison. Il va même, sachant qu’il est trompé, jusqu’à lui donner sa femme. Enfin, il apprend la vérité : la caisse de la conspiration nihiliste est cachée dans son propre palais. Il laisse croire alors aux révolutionnaires qu’il fait avec eux cause commune pour pouvoir voler l’argent. On voit ce qu’une telle donnée ainsi traitée comporte d’ironie sanglante et d’amère satire. La conquête des réformes sociales s’obtient plus souvent au théâtre par le rire que par la violence. L’auteur l’a bien compris et a écrit une étude savoureuse de mœurs russes qui, par notre public français, a été très goûtée et fort applaudie. Il fallait louer, pour sa mise en scène vivante, M. Lugné-Poë, qui avait campé avec puissance la silhouette falote et douloureuse du moujik qui voudrait qu’on ne lui fasse pas de tort. – Et tel était l’effet de la Danse des Fous, donnée par l’Œuvre, que M. Gémier s’emparait immédiatement de l’intéressante pièce de M. Birinski pour l’annexer à son théâtre, où elle faisait affiche avec la joyeuse Tontine.

 

 

L’expédition au Caucase

Le premier chapitre des Inhibés, roman de Boris Strougatski, se passe au Caucase. 

Vadim, le personnage central de ce chapitre, fait partie d’une expédition scientifique, dont on ne sait trop le sujet d’étude. La scène aurait très bien pu se passer n’importe où ailleurs, et pourtant, elle prend un sens tout particulier lorsque l’on s’intéresse à la carrière toute entière d’Arkadi et Boris Strougatski.

Si les deux frères avaient déjà écrit une poignée de textes auparavant, leur carrière ne démarre réellement qu’en 1958, avec la rédaction de la longue nouvelle « D’ailleurs », qui sera publiée en 19601. Ce n’est donc pas leur texte le plus ancien, mais c’est leur premier texte majeur.

Et le contexte est aussi celui d’une expédition scientifique au Caucase.

On retrouvera ce cadre dans une autre nouvelle, « Autour de la cyclotation », rédigée dans les années 1960, mais publiée seulement en 20082.

Ce motif n’est pas une simple lubie d’auteur. Boris Strougatski, avant d’être informaticien, puis écrivain à plein temps, a été astronome. Et à ce titre, il a lui-même participé à une expédition scientifique dans le Nord du Caucase, au pied du mont Elbrouz, comme le montre les quatre photographies ci-dessous3.

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On mesurera cependant le chemin parcouru par la pensée de l’auteur, entre 1958 et 2003, date de publication en russe des Inhibés. En 1958, le héros rencontre des extra-terrestres qui n’ont rien à faire de l’humanité, incapables qu’ils sont d’y reconnaître une espèce intelligente. Dans les années 1960, le héros rencontre le probable créateur de la Terre, une sorte de démiurge qui avoue avoir conçu ce monde suite à une erreur de laboratoire. En 2003, le héros rencontre un groupe de mafieux qui en veut à son talent particulier…

1Извне, in Arkadi et Boris Strougatski, Шесть спичек, 1960, Moscou, trad. Alain Cappon, in Antarès n°37-38, 1991, p. 4-58.

2К вопросу о циклотации, in Полдень, ХХI век, 4, 2008, trad. Viktoriya et Patrice Lajoye, Galaxies n°22, 2013.

3Clichés de L. Kamionko, 1960, in Неизвестные Стругацкие. Письма. Рабочие дневники. 1942-1962, 2008, Moscou, Ast.

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Deux ans, et déjà un beau catalogue.

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C’est l’occasion de remplir vos liseuses!

Un inédit de Boris Strougatski

Cela fait des années que nous travaillons autour des frères Strougatski. Mais pas encore pour Lingva, puisque jusqu’ici nous n’avons publié que des oeuvres antérieures à 1950.

Cela a commencé par une interview de Boris pour Lunatique, puis par diverses révisions de traductions et même des traductions inédites pour les éditions Denoël, ce qui nous a permis d’aborder d’authentiques chefs d’oeuvres comme Stalker, Il est difficile d’être un dieu, ou encore L’Escargot sur la pente. Cependant, il reste beaucoup à faire. Des romans écrits à deux sont toujours inédits, et tant Arkadi que Boris ont aussi publié en solo.

C’est l’occasion pour nous de nous lancer, avec la traduction du dernier roman de Boris Strougatski, Les Inhibés, dans lequel il est question d’un groupe d’hommes, tous dotés de pouvoirs spéciaux, mais incapables de s’en servir pour changer le monde.

« Nous n’aboutirons à rien. Nous sommes soit indifférents, soit inhibés. Les impuissants de ce monde… Mais voilà une chose étonnante : il me semble que je l’envie. On lui fait la chasse, on attend quelque chose de sa part, on a besoin de lui, ou bien il dérange quelqu’un, ou peut-être qu’il lui est utile. C’est un baratineur, un faible, un mollasson, et en même temps, il représente une certaine valeur, pas des moindres d’ailleurs. Et moi, je suis vide. Personne n’a besoin de moi. Comme une canette de bière vide… »

Pour cela, nous allons lui donner un cadre spécifique, avec une nouvelle collection, Nuits Blanches, puisque Saint-Pétersbourg était la ville de Boris.

Le roman paraîtra le 1er octobre (ISBN 979-10-94441-29-9, 23€), mais vous pouvez déjà le précommander: les frais de port sont comme d’ordinaire offerts.

Cette parution marquera d’ailleurs le deuxième anniversaire de Lingva, et à cette occasion, nous lancerons une opération sur les versions numériques de nos livres. Nous y reviendrons.

Un Ostap Bender à Paris en 1932

Les amateurs de culture et de littérature russe connaissent forcément Ostap Bender, ce sympathique escroc et flamboyant aventurier, personnage principal de ce chef-d’oeuvre de la littérature satirique que sont Les Douze chaises (Двенадцать стульев, 1928), roman d’Ilya Ilf et Evguéni Petrov – qu’il est possible de lire dans la traduction d’Alain Préchac aux éditions Parangon.

Résumons brièvement l’histoire: Hippolyte Vorobianinov, veuf et ancien maréchal de la noblesse, maintenant simple employé de bureau, apprend que sa belle-mère, lors de la Guerre Civile, a caché dans le rembourrage d’une chaise faisant partie d’un lot de douze, un trésor en diamants. Après avoir fait connaissance avec Ostap Bender, un escroc professionnel, il va se lancer à la poursuite des douze chaises, dispersées à travers le pays, ce qui sera à l’origine de situations toutes plus cocasses les unes que les autres.

En 1976, l’acteur Andreï Mironov a magnifiquement interprété ce personnage au cinéma:

Il semble que le roman d’Ilf et Petrov ait servi de source d’inspiration à un émigré russe, à Paris, en 1932. Nous lisons en effet dans le journal Le Populaire, en date du 27 mai 1932, l’article suivant:

« Un escroc international sous les verrous

Hier, des inspecteurs de la Sûreté générale, procédaient à l’arrestation, pour usage de faux passeport, d’un individu de nationalité russe, déjà connu des services de police, sous le nom de Serge Maximoff, comme pratiquant l’escroquerie dite au trésor caché.

Au cours de la fouille à laquelle il fut soumis, cet individu fut trouvé porteur d’une pièce d’identité au nom de Genrich Martens et comportant sa propre photographie.

Des recherches furent aussitôt effectuées aux archives de la Sûreté générale aux fins d’identification, qui permirent d’établir qu’en réalité Maximoff répondait à l’identité de Nicolas Vidine, né le 29 novembre 1902 en Russie. Cet individu qui a commis d’importantes escroqueries à l’étranger se réfugiait toujours à Paris entre deux expéditions.

C’est an cours de l’un de ses séjours, en mai 1931, qu’il tenta de commettre l’escroquerie dite au trésor caché qui lui valut de se signaler à l’attention de la police.

La victime en devait être le directeur d’une banque mais celui-ci pris de soupçon laissa tomber la proposition et prévint la Sûreté.

Le thème adopté par Vidine pour amener ses dupes à composition peut se résumer ainsi. Un trésor représentant plusieurs centaines de millions en pierreries et en monnaies, est actuellement en lieu sûr en Bulgarie. Il a été arraché des mains d’un équipage bolcheviste alors qu’il était transporté à travers la Mer Noire. Il provient de la mise à sac de banques et de châteaux du début de la Révolution russe. Il est actuellement enfermé dans des caisses de fer enterrés dans des trous le long du Danube.

II s’agit de les exhumer clandestinement et de les mettre hors d’atteinte. Une opération de ce genre nécessite des frais considérables. Il n’est pas douteux que Vidine semble avoir eu des amateurs en nombre assez considérable et qu’il leur faisait verser de fortes provisions.

Il est au dépôt. »

L’escroquerie en elle-même est classique: il s’agit d’une variante de la « Lettre de Jérusalem », apparue en France à la fin du XVIIIe siècle et théorisée par Vidocq en 1836, et toujours largement employée par d’innombrables escrocs qui agissent par email. Mais l’idée de transplanter ça en Russie, et de faire des richesses cachées un trésor pris sur les Bolchéviks, est nouvelle… et possiblement due à l’influence d’Ilf et Petrov.

À propos de Sergueï Solomine

Depuis plus d’un an et demi maintenant que Lingva existe, nous avons tenté de ramener à la lumière des auteurs parfois totalement tombés dans l’oubli, alors même que parfois ils ont pu être populaires de leur vivant. Les causes de cette amnésie littéraire sont multiples, mais bien souvent la politique n’est jamais loin. L’un des auteurs qui attirent notre attention en ce moment est Sergueï Solomine.

SolomineSergueï Solomine est le pseudonyme de Sergueï Yakovlevitch Stretchkine (1864-1913), un noble de la province de Toula, qui fit ses études à l’Académie forestière de Moscou avant d’en être expulsé en raison de sa participation aux mouvements révolutionnaires, et notamment à l’organisation arnachiste clandestine La Volonté du Peuple (Narodnaya Volia). Il est arrêté en 1887 et exilé dans la région d’Arkhangelsk. Il ne rentre de cet exil que trois ans plus tard. Il se lance alors dans l’écriture et commence à collaborer, à partir de 1894, à la plupart des magazines populaires d’avant-guerre : Argus, La Revue Bleue, Ogoniok.

Journal bleuL’essentiel de son activité prend place entre 1909 et 1913. Grand amateur d’Arthur Conan Doyle – il a publié une Fin de Sherlock Holmes en 1911 –, son domaine est celui de la littérature populaire, du récit d’évasion. Et de ce fait, il est l’un des premiers auteurs russes à se consacrer régulièrement à la science-fiction. Inventions fabuleuses, aventuriers, voleurs, ingénieurs philanthropes, tout cela se croise dans ses récits et nouvelles qui, s’ils ne sont pas l’œuvre d’un grand styliste, se lisent toujours avec plaisir. Sergueï Solomine est à ce titre un véritable précurseur.

En 1905, il participe aux événement révolutionnaires, mais ne sera pas immédiatement inquiété ; ce n’est qu’en 1910 qu’il est de nouveau condamné à l’exil, cette fois-ci dans l’Oural. Cela ne l’empêche pas de continuer à publier mais il tombe alors malade, et il décède en 1913, alors qu’il avait été autorisé à s’installer près de Saint-Pétersbourg. Une grande partie de ses récits ont été rassemblés en deux volumes et publiés en 1914. Il n’a jamais été réédité durant l’époque soviétique, ce qui ne surprend pas, vu qu’il était nihiliste, et il a fallu attendre ces dernières années pour voir ressurgir, dans des anthologies thématiques, certaines de ses nouvelles. Ses autres textes restent encore assez difficilement accessibles.

Sans doute ne ferons-nous pas un recueil de ses œuvres, du moins pas dans l’immédiat, mais nous avons traduit déjà trois de ses nouvelles, appartenant à des genres différents, mais relevant tous de la littérature populaire d’alors.

Le premier a donc été sa Fin de Sherlock Holmes (1911), que nous avons publiée directement sur notre blog, en libre accès. Solomine y dévoile son admiration pour le héros d’Arthur Conan Doyle.

Le deuxième est Le Vampire (1912), éditée cette fois en numérique. Influencé par Bram Stoker (qui n’était alors pas traduit en russe, Solomine présente en quelques courtes pages des idées alors nouvelles sur les causes du vampirisme.

dimmerveilleux02-01La troisième, Les Ancêtres (1913), paraîtra sans doute à l’automne au sein de l’anthologie Dimension Merveilleux scientifique 2, dirigée par Jean-Guillaume Lanuque pour les éditions Rivière Blanche. On y découvrira un monde perdu, là encore à la façon de Conan Doyle (dont le roman sera traduit en russe après la parution des Ancêtres), mais situé cette fois sous terre, comme celui que présentera quelques années plus tard Vladimir Obroutchev dans La Plutonie.

Plus tard, peut-être traduirons-nous encore d’autres de ses textes.

Soyons révolutionnaires

L’année prochaine sera celle du centenaire de la Révolution de 1917. Un événement majeur s’il en est, véritable tournant du XXe siècle. Mais celle-ci ne s’est pas construite sur rien; d’autres événements, moins connus de nos jours, l’ont précédée. Ainsi en est-il de la révolution manquée de 1905. C’est celle-ci, ainsi que les mouvements révolutionnaires antérieurs, que nous voudrions mettre en avant dans nos prochaines publications, notamment avec un diptyque, dont le premier volume observera la Révolution avec l’œil de l’humour et de la satire, le second employant celui de la tragédie.

Fonvizine couverture Birinski couverture

Si vous êtes curieux, mais non-russophone, vous aurez du mal à trouver des renseignements sur ces auteurs. Comme d’habitude, chez Lingva, nous n’avons pas peur des défis en tâchant de rééditer des écrivains dont l’œuvre a été oubliée pour des raisons non-littéraires.

Birinski

Cliché de jeunesse de Leo Birinski conservé à la Staatbibliothek de Berlin

Le premier volume contiendra donc une pièce de théâtre – une comédie –, suivie d’une nouvelle. La pièce de théâtre est de Leo Birinski. Leo Birinski est probablement né en 1884 à Lyssianka, dans le Gouvernement de Kiev, d’un père nommé Hersch Gottesmann, et d’une mère nommée Karna Berinska ou Birinska. Il passe son enfance en Bukovine, alors province austro-hongroise. Il emménage à Vienne au début du XXe siècle, devenant libraire, avant de commencer à écrire. Il se fait alors connaître par deux tragédies (Der Moloch et Raskolnikoff, laquelle est une adaptation de Dostoievski), et une comédie, Narrentanz (La Danse des fous), créée en 1912. Cette dernière pièce fut un immense succès, et fut traduites en sept langues, dont le français. En 1921, Birinski déménage à Berlin en 1921, où il se marie, et en 1927, il arrive aux États-Unis, où il entame une prolifique carrière de scénariste. Son dernier film, The Lady Has Plans (Espionne aux enchères), réalisé par Sidney Lanfield, sort en 1942. Puis Leo Birinski disparaît. Il meurt le 23 octobre 1951, dans une misère noire, et est enterré dans une fosse commune à New York.

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Portrait de Yassinski par Ilya Repine

Maxime Belinski est l’un des pseudonymes de Ieronim Iassinski, un auteur prolifique de la seconde moitié du XIXe siècle et du début du XXe. Iassinski est né à Kharkiv (Ukraine), de Ieronim Iassinski, un noble d’origine polonaise, et de Olga Belinskaïa, fille d’un héros de la bataille de Borodino, Maxime Belinski, à qui l’auteur empruntera son pseudonyme. Après avoir suivi des études à Tchernihiv, puis à Kiev, il s’est marié et a commencé très vite à publier des articles puis des romans. Il fut extrêmement prolifique. En sus de son œuvre, il se fit directeur de revues, critique, traducteur. Tout en étant progressiste, il s’est régulièrement moqué des mouvements révolutionnaires, ce qui lui a valu d’être détesté de Tchekhov et de Gorki. Mais lors de la Révolution d’Octobre, il embrassa le parti bolchevique, et put ainsi continuer à écrire jusqu’à sa mort, en 1931, à Leningrad.

Tous deux ont contribué chacun à leur manière à dédramatiser la Révolution, à en faire un sujet d’humour. Avec Birinski, on se retrouve chez un gouverneur de province, corrompu jusqu’à l’os, qui ne cesse d’envoyer au gouvernement des rapports alarmistes dans le but d’obtenir de nouveaux crédits qui lui permettrons de mener un large train de vie. Parallèlement, les révolutionnaires ont décidé de faire de ce même gouvernement un havre de paix, afin de pouvoir y dissimuler tranquillement fugitifs et archives… En complément, Belinski nous offre une petite saynète, autour d’un révolutionnaire qui s’emploie à cacher deux bombes chez une jeune fille célibataire et sa mère. Dans les deux cas, le sujet est grave: raison de plus pour en rire.

FonvizinSergueï Fonvisine, lui, s’occupe de l’autre versant du sujet. Né à Moscou en 1860, il mène une longue carrière militaire, qui le voit passer d’officier subalterne à vice-gouverneur de Poltava, en Ukraine. C’est seulement à sa retraite qu’il se lance dans la carrière d’écrivain. Il est ainsi l’auteur de plusieurs romans et recueils de nouvelles, dont Temps d’émeute, publié en 1911. Il meurt en 1918, et, sans doute du fait qu’il était plutôt réactionnaire (les révolutionnaires ne sont que des ouvriers mal dégrossis, des Tsiganes et des Juifs forcément apatrides), il n’a depuis plus jamais été réédité, même en Russie. Et pourtant, Temps d’émeute est un formidable roman. Écrit en réaction à la Révolution de 1905, il prend pour personnage principal un prince déchu, déshérité et travaillant pour cette raison à des postes de petits fonctionnaires. Misanthrope, il va pourtant s’humaniser, au contact d’un Juif révolutionnaire et d’une jeune fille noble.

La Danse des fous paraîtra à la fin du mois de février; Temps d’émeute est prévu pour le mois d’avril.

Vladislav Krapivine chez Rivière Blanche

Aujourd’hui nous ne parlerons pas d’un de nos propres ouvrages, mais d’une parution à venir chez nos amis de Rivière Blanche, à laquelle nous avons activement participé. Un nouveau roman de Vladislav Krapivine, auteur particulièrement célèbre en Russie, va en effet paraître, dans une traduction de François Doillon et Tatiana Palma. Il s’agit des Sanzindes (Гуси-гуси, га-га-га…), paru en Russie en 1989. Ce roman appartient, comme les autres précédemment parus aux éditions Delahayes, au cycle du « Grand Cristal », mais il peut se lire tout à fait indépendamment.

Il est question d’un monde en paix, où aucun crime n’est commis. Et pour cause: la justice y est réglée par un ordinateur qui tire au sort les peines appliquées aux contrevenants à la loi, la pire des peines, qui ne tombe que de façon extrêmement rare, étant la mort. Ainsi, Cornelius est-il condamné à la peine capitale… pour avoir mal traversé une rue! Roman dystopique, Les Sanzindes est aussi un roman lumineux, par la rencontre entre Cornelius et un groupe d’enfants qui échappent au système, car ils n’ont pas d’index.

L’illustration de couverture est de Jean-Félix Lyon.

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Les Premiers feux en précommandes

Nous sommes en retard!

Sans doute avons-nous été trop ambitieux, mais voilà: nous sommes en retard. Ainsi la publication du Français d’Eugène Sallias est reportée au deuxième semestre 2016, car c’est une traduction qui prend du temps. De même, l’anthologie Les Premiers feux. Penser le futur en Russie d’Alexandre Ier à Staline, qui nous avions prévu pour la fin 2015, sortira en définitive fin janvier 2016.

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Nous avons du renoncer cependant à y intégrer le texte de Konstantin Tsiolkovki, beaucoup trop long par rapport aux autres: nous le ferons paraître séparément, dans quelques mois, en numérique. Nous l’avons toutefois remplacé par un texte étonnant de Vladimir Soloviev, L’Antéchrist. Ce sont donc en tout dix récits qui composent cette anthologie, dont certains traduits pour la première fois en français.

Quoi qu’il en soit, le travail s’achève sur ce volume: nous pouvons donc ouvrir les précommandes. L’ouvrage final fera 192 pages. Son prix est fixé à 19€.

Il vous est possible de le commander en réglant soit par chèque (à l’ordre de Viktoriya Lajoye, 22A rue de la Gare, 14100 Lisieux), soit par Paypal à l’adresse lviktoriya@aol.fr