Nous l’avons rappelé en introduction de Nahéma: la vie de Véra Krijanovskaia tournait intégralement autour de l’occultisme. Krijanovskaia était persuadée d’être en communication avec J. W. Rochester. On peut trouver dans la presse française du XIXe siècle divers témoignages à ce sujet, mais l’un des plus curieux reste un texte de sa soeur, Lioubov, publié initialement dans une revue italienne puis traduit dans le numéro 1 de 1898 de L’Humanité intégrale, une revue ésotérique.
Le revoici ci-dessous, à titre de document sur cet auteur décidément hors normes.
Cas télépathique d’un chien
Lioubov Krijanovskaïa
Il s’agit d’un petit chien, qui était le favori de nous tous, de Véra surtout; et un peu à cause de cette affection et des gâteries exagérées qui en étaient la conséquence, l’animal tomba malade. Il souffrait de suffocations et toussait, le médecin vétérinaire qui le soignait ne dit pas que la maladie fût dangereuse, Néanmoins Véra s’inquiétait beaucoup; elle se levait la nuit pour lui faire des frictions et lui donner sa médecine ; mais personne ne pensait qu’il pût mourir.
Une nuit, l’état de Bonïka (c’était le nom du petit chien) empira tout à coup; nous eûmes de l’appréhension, surtout Véra, et on résolut que dès le matin on irait chez le vétérinaire, car si l’on s’était contenté de le faire appeler, il ne serait venu que le soir.
Donc, au matin, Véra et notre mère partirent arec le petit malade; moi je restai et me mis à écrire. J’étais si absorbée que j’oubliais le départ des miens, quand tout à coup j’entends, le chien tousser dans la chambre voisine. C’était là que se trouvait sa corbeille, et, depuis qu’il était malade, à peine commençait-il à tousser ou à gémir, quelqu’un de nous allait voir ce dont il avait besoin, lui donnait à boire et lui présentait sa médecine, ou lui ajustait le bandage qu’il portait au cou.
Poussée par l’habitude, je me levai et m’approchai de la corbeille; en la voyant vide, je me rappelai que maman et Véra étaient parties avec Bonïka, et je restai perplexe, car la toux avait été si bruyante et si distincte qu’il fallait rejeter toute idée d’erreur.
J’étais encore pensive devant le berceau vide, quand près de moi se fit entendre un de ces gémissements dont Bonïka nous saluait quand nous rentrions; puis un second qui semblait venir de la chambre voisine; enfin une troisième plainte qui semblait se perdre dans le lointain.
J’avoue que je restai saisie et prise d’un frémissement pénible; puis l’idée me vint que le chien était expiré; je regardai l’horloge; il était midi moins cinq minutes.
Inquiète et agitée, je me mis à la fenêtre et j’attendis les miens avec impatience. En voyant Véra revenir seule, je courus vers elle et lui dis à brûle-pourpoint: Bonïka est mort.
– Comment le sais-tu ? dit-elle, stupéfaite.
Avant de répondre, je lui demandai si elle savait à quelle heure précise il avait expiré.
– Quelques minutes avant midi, me répondit-elle. Et elle me raconta ce qui suit :
Quand elles étaient arrivées chez le vétérinaire vers onze heures, celui-ci était déjà sorti; mais le domestique pria instamment ces dames de vouloir bien attendre, vu que vers midi son maître devait rentrer, car c’était l’heure où il avait coutume de recevoir. Elles restèrent donc; mais, comme le chien se montrait toujours plus agité, Véra tantôt le posait sur le divan, tantôt le mettait à terre, et consultait la pendule avec impatience. À sa grande joie elle venait de constater qu’il n’y avait plus que quelques minutes avant midi, lorsque le chien fut repris d’une suffocation. Véra voulut le remettre sur le divan ; mais, comme elle le soulevait, elle vit tout à coup le chien ainsi que ses mains s’inonder d’une lumière pourpre si intense et si éclatante, que ne comprenant rien à ce qui arrivait elle cria au feu ! Maman ne vit rien ; mais, comme elle tournait le dos à la cheminée, elle pensa que le feu s’était mis à sa robe, et elle se retourna effrayée ; elle vit alors qu’il n’y avait pas de feu dans la cheminée, mais aussitôt après on constata que le chien venait d’expirer, ce qui fit que maman ne pensa plus à gronder Véra pour son cri intempestif et pour la peur qu’elle lui avait faite.
Plus tard Rochester, médianiquement interrogé, nous expliqua que la traînée de feu vue par Véra était le rayon électrique qui tranchait le lien entre l’âme et la matière1 ; c’est pourquoi il ne nous resta plus aucun doute que l’esprit libre de notre petit favori ne fût venu donner un dernier adieu.
À cette époque nous racontâmes le fait à tous nos amis ; mais nous fûmes seuls témoins; nous ne pouvons donc vous envoyer le certificat de témoins que vous désirez.
Mais vous, mon excellent ami, vous me croirez, n’est-ce pas ? Alors je suis suffisamment satisfaite d’avoir ajouté un nouveau fait à ceux que vous connaissez déjà dans ce genre de choses.
Je dois ajouter que ce chien se distinguait par une intelligence extraordinaire, que nous n’avons jamais pu retrouver en quelque autre animal de son espèce. Il pratiquait la charité, et une fois, étant à la campagne, nous avons pu observer, pendant huit jours, qu’il portait du pain et des ailes de poulet à un pauvre chien vagabond et affamé et qu’il le regardait manger avec une véritable satisfaction. Il jouait avec une poupée ; et, après sa mort, pendant la grande maladie de Véra, au cours de laquelle, comme vous vous rappelez, elle faillit mourir d’une inflammation des poumons, nous avons vu plusieurs fois, tant Véra que moi, Bonïka assis au pied de son lit.
Lioubov Krijanovskaïa
(Traduit du Vessillo spiritista de Janvier 1898).
1Il serait plus précis de dire : entre le corps charnel et le corps périsprital – Note du traducteur.